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suis assez intelligent pour ne pas me faire d’illusion sur cette sorte de succès. J’ai fait un livre court ; j’ai pris le seul sujet qui puisse encore exciter jusqu’à un certain point l’attention publique et que, malgré cela, il soit encore permis de discuter : la Révolution française. On avait montré jusqu’ici le dessus de l’objet ; je l’ai retourné et j’ai montré le dessous. Un certain nombre de passions encore vivantes ont trouvé leur compte à m’accuser ou à me louer. De là, un certain bruit qui dure encore. Mais je sais bien que le lecteur que mon livre émeut le plus est encore plus ému du cours de la rente. Je serais curieux d’avoir votre opinion sur cet ouvrage qui, s’il ne me donne pas de renommée durable, m’a, du moins, aidé à passer de mauvais temps et transformé en bonnes années le passage toujours si difficile des affaires à la retraite. Maintenant, j’ai tant pris de goût à la vie que je mène, je la trouve si favorable au bien-être de mon esprit et à ma santé, que j’aurais bien de la peine à la quitter s’il le fallait. Mais les premiers temps où je l’ai menée eussent été bien rudes, si, sortant de la politique agité et malade, je n’avais pas préparé de longue main une occupation qui pût non seulement me remplir, mais me passionner… Mille amitiés.


Téhéran, le 29 novembre 1856.

Monsieur,

Avec tout ce plaisir extrême que j’ai à recevoir vos lettres, je suis resté bien longtemps sans répondre à la dernière, bien que j’en eusse plus d’envie encore peut-être que pour toutes les autres. Ne m’accusez pas. Je viens de traverser l’aventure asiatique la plus rude et la plus pénible que j’aurai jamais. Mme de Gobineau s’étant trouvée enceinte et, du même coup, abandonnée par sa femme de chambre française, il ne pouvait être question d’aucune manière qu’elle restât ici. Nous nous sommes donc mis en route pour la frontière russe. Après seize jours de marche très heureux, nous avons traversé une contrée infestée de rivières, et Diane a pris la fièvre des marais. Nous l’avons portée à grand’peine à Tébriz où elle est restée vingt-cinq jours, plus près de la mort que de la vie ; je vous laisse à penser ce que nous avons senti et comment nous avons vécu. Enfin, Dieu nous l’a rendue. Je les ai conduites jusqu’à l’Araxe, sur le territoire