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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/536

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Journal des Débats, que j’étais matérialiste : d’autres, vous-même, inclinent à croire que j’ai fait acte de déférence pour la tournure d’idées à la mode, et que ma religion n’a pas plus de conséquence.

Comment, vous, qui me connaissez si bien, pouvez-vous accueillir un tel soupçon ? Est-ce que cela me ressemble ? Suis-je vraiment l’homme à flatter une opinion qui me semblerait fausse, et ne serais-je pas plutôt un peu trop enclin à accuser celle qui ne me semblerait pas suffisamment vraie ? Qu’est-ce que mon Essai sur les Races, sinon une preuve que je ne crains ni n’accepte les idées les plus reçues et les plus chères à ce siècle-ci ? Croyez-vous que j’aurais voulu par une lâcheté, qu’au fond on ne me demandait pas, faire excuser des hardiesses que je n’avais pas besoin de commettre ? Non, si je dis que je suis catholique, c’est que je le suis. Dans la dernière perfection ? Assurément non, et je le regrette, et je désire que cela soit un jour ; quand je dis catholique, c’est catholique tout à fait, cœur et intelligence, et si je croyais comme vous que mes opinions historiques y font disparate, je les abandonnerais à l’instant.

Sans doute, j’ai été philosophe, hégélien, athée. Je n’ai jamais eu peur d’aller au bout des choses. C’est par cette porte finale que je suis sorti des doctrines qui ouvrent sur le vide pour rentrer dans celles qui ont une valeur et une densité. Outre cette raison métaphysique, j’en ai deux autres encore, et je dirais même trois, si la troisième pouvait vous sembler valable, bien qu’elle ait été très forte pour moi. Mais je la passe sous silence. Les deux autres, les voici. M. de Rémusat, qui a exercé sur moi une certaine influence, bien que quelquefois, comme dans le cas actuel, d’une façon qu’il n’aurait peut-être pas attendue, m’a dit un jour : « Vous êtes bien un produit de votre siècle ; avec des idées féodales, vous voilà anti-chrétien. » Cette observation très juste dans son ironie me frappa beaucoup, et j’y ai pensé souvent. Non pas que, systématiquement, j’aie des prétentions à la conséquence qui ne me paraît pas être une qualité à la portée humaine, au moins dans sa perfection ; mais, parce que je n’aime pas, naturellement, en moi, voir subsister des disparates trop choquans. Il s’agissait de savoir si, en fin de compte, je cesserais de considérer la liberté féodale comme la chose la plus calomniée et la plus mal comprise qui soit au monde par des générations qui n’en ont plus été dignes, ou bien si je préférerais sacrifier