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plus des cousins dont le père commun n’est qu’au ciel ; ici-bas, il n’y a que des vainqueurs et des vaincus, des maîtres et des esclaves par droit de naissance, et cela est si vrai que vos doctrines sont approuvées, citées, commentées, par qui ? par les propriétaires de nègres et en faveur de la servitude éternelle qui se fonde sur la différence radicale de la race. Je sais que, à l’heure qu’il est, il y a dans les Etats-Unis du Sud des prêtres chrétiens et peut-être de bons prêtres (propriétaires d’esclaves pourtant) qui prêchent en chaire des doctrines qui, sans doute, sont analogues aux vôtres. Mais soyez sûr que la masse des chrétiens composée de ceux dont l’intérêt ne ploie pas, à leur insu, l’intelligence de votre côté ; soyez sûr, dis-je, que dans le monde, le gros des chrétiens ne peut pas éprouver la moindre sympathie pour vos doctrines. Je ne parle pas des opinions matérialistes, — qui ne s’y trouvent pas renfermées, dites-vous, soit, — mais dont il est impossible qu’une foule d’esprits ne les fassent pas sortir. J’avoue donc que la lecture de votre livre m’avait laissé des doutes sur la solidité de votre foi et que je vous avais placé irrespectueusement parmi des hommes que des doutes n’empêchent pas de traiter le christianisme avec un vrai et profond respect, et qui ne croient pas faire acte d’hypocrisie en travaillant à rendre leurs idées aussi compatibles que possible avec lui. Vous me dites qu’en ceci je me suis trompé, et que vous êtes devenu un chrétien absolument convaincu. Que le ciel vous entende ! Vous serez le plus heureux des hommes dans ce monde, sans parler de l’autre, j’en suis profondément convaincu ; et soyez sûr que personne plus que moi ne se réjouira de vous voir persister dans cette voie. Hélas ! elle n’est pas ouverte à tous les esprits, et beaucoup qui la cherchent sincèrement n’ont pas eu jusqu’ici le bonheur de la rencontrer. Si j’ai parlé avec humeur peut-être (je ne me le rappelle plus) des dévots, c’est que le cœur me soulève tous les jours en voyant de petits messieurs, qui passent leur temps dans les clubs et les mauvais lieux, ou de grands drôles, qui sont capables de toutes les bassesses, aussi bien que de toutes les violences, parler dévotement de leur sainte religion. Je suis toujours tenté de leur crier : Soyez plutôt païens avec la conduite pure, l’âme fière et les mains nettes, que chrétiens de cette façon-là !

Je descends de ces hauteurs vers un très petit objet qui est l’Institut. Je vous trouve des chances très bonnes pour arriver