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un intendant, sont composées de gens de toute espèce… Il n’est pas étonnant que de pareilles troupes soient méprisées. »

Les mesures mêmes qui s’imposaient aux commis des fermes, perquisitions, saisies, poursuites, avaient revêtu les formes les plus vexatoires. Les édits relatifs aux toiles peintes interdisaient de porter des vêtemens faits de ces étoffes. Les agens des fermes arrêtaient les femmes à la sortie des églises, dans les rues et les promenades publiques, pour s’emparer de leurs effets qu’ils leur arrachaient du corps. M. de Bornage écrivait le 1er décembre 1714 : « Les gardes des tabacs brisent les pipes entre les dents des fumeurs, ou font, à coups de poing, rejeter le tabac à mâcher que d’autres individus ont dans la bouche, sous prétexte qu’ils reconnaissent que le tabac est de contrebande. »

Les commis étaient autorisés à faire les visites les plus minutieuses dans toutes les maisons ou propriétés, à toute heure. Ils fouillaient sous les couvertures des lits.

Cette inquisition de jour et de nuit ne suffisant pas, il fallut la délation. C’est Malesherbes qui parle : « On a voulu qu’il pût se trouver dans chaque société de marchands, dans chaque maison, dans chaque famille, un délateur qui avertît le financier qu’en tel lieu et en telle occasion il y aura une prise à faire. Ce délateur ne se montre point, mais les commis, avertis par lui, vont surprendre celui qui a été dénoncé et acquièrent la preuve, ou plutôt se la fabriquent à eux-mêmes par leur procès-verbal. Quand un avis a réussi, il est donné une récompense au dénonciateur, c’est-à-dire à un complice, à un associé, à un commensal, à la femme qui a dénoncé son mari, au fils qui a dénoncé son père. »

Et le vaillant magistrat, s’adressant à son souverain, termine d’une voix émue : « Daignez, Sire, réfléchir un instant sur ce tableau de la régie des fermes ! par la foi accordée aux procès-verbaux, le prix est continuellement mis au parjure ; par la délation, c’est à la trahison domestique qu’on promet récompense. Tels sont les moyens par lesquels 150 millions arrivent tous les ans dans les coffres de Votre Majesté. »

Dans la nuit du 6 au 7 juillet 1753, un « employé, » Antoine Bariod, tua un marinier du nom de Noël Segond, dans sa barque qui descendait le Rhône, et cela dans le moment même où Segond, hélé par Bariod, allait aborder. La famille intenta une action en dommages et intérêts aux fermiers généraux,