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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/572

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n’étaient pas seulement vexatoires, ils étaient illégaux, contraires à la Constitution même de la province et à la charte fondamentale qui l’avait rattachée, en 1349, au royaume de France, charte dont chaque Dauphinois, de génération en génération, conservait les termes présens à l’esprit. Encore à la veille de la Révolution, le 12 mai 1788, le corps de ville de Grenoble, s’adressant à Louis XVI, reviendra sur cette oppression du pays par la méconnaissance de son antique statut, et la célèbre assemblée de Vizille, où se réuniront, le 21 juillet 1788, les trois États du Dauphiné, la soulignera avec énergie.

L’esprit d’indépendance et les idées de liberté chers aux Dauphinois sont notés dans les récits de voyage et les descriptions de la France au XVIIIe siècle. Le comte de l’Hospital, qui servait dans la province en qualité de maréchal de camp, en écrit le 4 mai 1755, au comte de Marcieu, gouverneur : « Pays où tout le monde est contrebandier et fort républicain. »

La misère, dont les campagnes souffrirent si durement vers le milieu du XVIIIe siècle, rendit plus cruelles encore les contraintes que faisaient peser sur le pays les exigences de la Ferme, dépouillant le pauvre monde et entravant le commerce par des barrières particulièrement gênantes en ce pays frontière.

Le marquis d’Argenson écrit en 1749 : « Je suis à la campagne, j’y vois la misère et je n’entends parler d’autre chose ; on en a toujours parlé, mais on n’a jamais eu tant de raison de le dire… et ce qui va toujours son train, ce sont les contraintes, avec quoi les receveurs s’enrichissent. On en use avec les pauvres sujets d’une façon pire que pour la contribution aux ennemis… Les collecteurs, avec des huissiers, suivis de serruriers, ouvrent les portes, enlèvent les meubles et vendent tout pour le quart de ce qu’il vaut et les frais surpassent la taille. »

A la suite d’un voyage d’inspection sur la frontière du Sud-Est, en 1752, le marquis de Paulmy indique la dépopulation des vallées et des montagnes du Dauphiné, par suite de la misère croissante. De jour en jour, elle va s’aggravant. Il est urgent, écrit-il, d’attacher les habitans à leur pays en rendant leur sort moins dur. Que faire ? « Modérer la capitation, diminuer la taille, abaisser le prix du sel, restreindre les exigences des fermiers généraux. »

De cette détresse le chevalier de Goudar se fait l’interprète pittoresque : « Je suis d’un village en Dauphiné, à deux lieues