Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortes d’étangs, le poisson venait à merveille. On le récoltait ensuite durant le carême, après avoir laissé s’écouler les eaux.

Le chemin se creuse en une cavée, resserrée entre des terrassemens que surmontent des charmilles dominées par des chênes géans : d’où son joli nom, « la Vie profonde. » Aux heures les plus chaudes des jours d’été, il y fait sombre et frais. Dans le creux des Serves se pressent en bouquets les saules aux branches grisâtres. Les prairies sont closes de haies vives. On y pénètre par des échaliers à claire-voie. L’herbe y est très verte sous les châtaigniers élancés et légers, au feuillage luisant.

Entre les partis, qui allaient en venir aux mains, les forces étaient à peu près égales. Les « miliciens » étaient cinq : les trois frères Roux, Tournier et Baronnat. « Les frères Roux, écrira le lieutenant-châtelain Buisson, sont de fort braves gens, aisés et un peu hors du commun. » Les Brissaud étaient au nombre de quatre : Louis Mandrin, Pierre Fleuret dit Court-toujours, Sauze dit Coquillon et Benoît Brissaud, frère de Pierre, le milicien fugitif…

La lutte qui s’engagea ne tarda pas à devenir un combat mortel. Des passans, qui étaient accourus au nombre de seize, voulurent intervenir, mais ils furent tenus à distance, quelques-uns des combattans ayant mis leurs fusils en joue. Joseph Roux fut tué sur place ; son frère, François, grièvement blessé, put se hisser sur son cheval. Il regagna son domicile à Beaucroissant, où il ne tarda pas à expirer à son tour. On trouva, dans les poches de celui qui était demeuré mort sur le lieu du combat, trois livres : Méditations sur la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Pensées chrétiennes et Chemin du ciel. La force publique parvint à arrêter deux des combattans du 30 mars : Benoît Brissaud et Coquillon. Brissaud fut condamné à être pendu et Coquillon aux galères. Le même jugement condamna par contumace Louis Mandrin à être roué vif comme « auteur principal » de l’assassinat des frères Roux, et Court-toujours aux galères. L’arrêt, prononcé par le Parlement de Grenoble, est du 21 juillet 1753. Ce jour, Benoît Brissaud fut pendu à Grenoble, place du Breuil, et sa tête, séparée du tronc, fut exposée le lendemain, 22 juillet, à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, au mas des Serves, à l’endroit même où Joseph était tombé frappé à mort.

La sentence prononcée par contumace contre Louis Mandrin fut exécutée en effigie, et l’arrêt affiché au pilier de justice de sa