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il les entrevoit dans un fouillis confus. Au contraire, avec un instantané, feuilles, brindilles, ramures, troncs apparaissent avec la même netteté, et ce que nous verrons sur cette photographie, ce seront des arbres contournés, bizarres de forme, et non des arbres secoués par le vent, tandis que moins d’instantanéité nous donnerait l’effet cherché : la netteté des troncs, la demi-netteté des ramures, le flou, c’est-à-dire le fondu, le vaporeux, le léger des feuilles et des brindilles. Il en est de même pour les transformations de la physionomie qui correspondent à des états d’âme divers : chronophotographiées, leurs images ne représentent le plus souvent qu’une suite de grimaces assez laides, et cela parce que la photographie instantanée a nécessairement fixé des états du visage extrêmement passagers qui, dans la réalité, se fondent, pour notre œil, par des transitions graduelles et dont aucun ne nous apparaît isolément. Conclusion : si l’image du mouvement, telle que la présente la photographie instantanée, ne nous donne le plus souvent qu’une impression d’immobilité, c’est, d’abord, parce que la sensation du mouvement, pour être perçue, exige la présence, devant l’œil, d’un certain nombre de points de repère qu’il sait, à l’avance, être fixes ; ensuite, parce que cette sensation prend sa source dans la persistance des impressions lumineuses sur la rétine, propriété sur laquelle nous aurons bientôt l’occasion de revenir et qui fait que l’œil ne peut percevoir, dans un mouvement, qu’une sorte de résultante que la chronophotographie dissocie nettement en une multitude de composantes.

Ce point admis et, par conséquent, cette vérité acquise que si la plaque photographique est la rétine du savant, — le mot est de M. Janssen, — elle ne saurait être celle de l’artiste, il devient de toute évidence que, sauf dans quelques cas exceptionnels abandonnés à son jugement et à son goût, l’artiste, quand il veut représenter un mouvement, doit, avant tout, se préoccuper de ne montrer que ce que l’œil est capable de saisir. Or, de même qu’une machine en marche ne laisse voir certains de ses organes qu’aux points morts, c’est-à-dire, à ces courts instans où le mouvement s’achève dans un sens et recommence dans l’autre, de même les êtres, les objets animés ne permettent de percevoir nettement que la phase préparatoire et la phase finale de leurs mouvemens. Ce sont ces phases que le peintre, le sculpteur doivent s’attacher, de préférence, à représenter, et la