conduis dans une bonne maison, rue de Sèvres, à la Protection de la jeune fille, ou bien rue de Lille. On ne se doute pas du nombre de paysannes, et même de bourgeoises qui débarquent à Paris sans avoir de situation, et sont persuadées que le commissaire de police est chargé de leur en trouver une. Et de même, combien partent en province, enchantées de la position qu’on leur promet et qui se rendent simplement dans un lieu de prostitution ! Et combien d’étrangères abandonnent leur pays, leur famille et leur situation, toujours convaincues qu’à Paris elles auront bien mieux ! Paris, Paris… pour elles c’est la ville où l’on fait fortune, dès qu’on y met le pied… Et les grandes villes exercent le même attrait. Malheureusement, notre œuvre est encore naissante, nous n’avons pas d’agentes dans ces grandes villes. »
Et comme je m’étonnais qu’elle pût supporter une vie si fatigante, si dure, elle me répondit simplement :
— Oui, oui, en hiver, il fait un peu froid. Mais c’est une habitude à prendre ; voilà tout.
C’était elle qui s’étonnait de mon étonnement.
Dans une communication faite, le 26 mars 1900, à l’Académie des Sciences morales et politiques, M. Georges Picot affirmait qu’après une enquête minutieuse il était arrivé à cette conclusion qu’il y avait tout juste à Paris 1 000 lits honnêtes pour 100 000 jeunes filles à loger. En 1901, au congrès de la Société d’économie sociale, il exposait pourquoi les logeurs respectables ne veulent jamais recevoir de femme seule : celles qui vivent d’inconduite causent du scandale ; celles qui tiendraient à se bien conduire seraient sans cesse sollicitées par des filles et des garçons qui voudraient les entraîner au bal ou ailleurs, et causeraient du bruit, sinon du scandale. Les logeurs n’acceptent donc qu’une femme accompagnée. La charité chrétienne a depuis longtemps cherché à remédier à ce mal. Les congrégations religieuses et les sociétés charitables ont installé un peu partout des Œuvres de bonne garde, des Patronages internes. Mais ces œuvres où la jeune fille est toujours traitée un peu en petite fille et dont le règlement est étroit, ne plaisent pas à tout le monde. Il fallait des maisons où la discipline fût plus souple, et qui ne se préoccupassent pas de la confession à laquelle appartenaient les jeunes filles. La maison de la rue de Lille, au no 101, que