Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/714

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ce dernier volume d’Etudes critiques, que l’on veuille bien y comparer les deux morceaux sur Joseph de Maistre et sur Bourdaloue aux deux articles jadis insérés dans la Grande Encyclopédie sur les mêmes sujets : on verra la différence. Dira-t-on qu’il est tout naturel que, sur des sujets qui relèvent à la fois de l’histoire littéraire et de l’histoire religieuse, les nouvelles recherches et les réflexions nouvelles de Ferdinand Brunetière aient donné à sa critique plus de portée et plus d’ampleur ? Il serait facile de répondre que, l’histoire de la littérature, — et surtout de la littérature française, — confinant par toute sorte de biais à la psychologie et à l’histoire religieuses, il n’est pas inutile au critique littéraire d’avoir quelques « clartés » de ces sortes de questions. En fait, il est impossible de bien parler des Essais et d’en saisir même la signification générale, si l’on n’a pas une opinion motivée sur le « christianisme » de Montaigne : on n’a qu’à relire pour s’en convaincre l’article sur l’édition de M. Strowski. Mais on peut aller plus loin encore : le problème religieux est si bien au fond de tous les autres, ou du moins il tient à tous les autres par des liens si étroits, qu’à l’approfondir, c’est en réalité toute une conception du monde, de la vie et de l’art que l’on éprouve et que l’on renouvelle, pour le plus grand bénéfice de ses études ultérieures, quels qu’en soient l’ordre et la nature. Après Vinet, après Sainte-Beuve, après Scherer, Ferdinand Brunetière a vérifié cette loi générale. Toutes les qualités dont témoignaient ses premières études critiques, se retrouvent dans ses dernières, mais à un degré supérieur, et avec quelque chose de plus. Sa critique est sortie renouvelée de la crise morale dont l’article Après une visite au Vatican a été le plus décisif symptôme. Elle est devenue moins abstraite, moins scolastique, et plus humaine. Elle a gagné en profondeur d’accent, en richesse de vie, en portée philosophique, en puissance suggestive. Sans cesser d’être aussi ferme dans ses principes, aussi rigoureuse dans sa méthode, elle s’est ouverte à de nouveaux horizons, elle a entrevu de nouveaux rapports, perçu de nouvelles « correspondances. » Elle s’est dépouillée d’un peu d’« esprit géométrique ; » elle a donné une plus large part à l’ « esprit de finesse. » Et le maître écrivain des Études critiques a ainsi ouvert une voie féconde, où plusieurs aujourd’hui le suivent, — avec la douleur de ne plus l’avoir pour conseiller et pour guide.


VICTOR GIRAUD.