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surprise, c’est que, malgré les railleries dont on la poursuit, elle ne paraît rien perdre de son importance. Les jeunes gens qui se croient ou se supposent quelque talent se jettent sur les prix qu’elle décerne. On regarde une couronne académique comme le début naturel d’une carrière d’homme de lettres ; et quelquefois même il se trouve, parmi les concurrens, des personnes d’âge et de réputation. Necker, un banquier opulent, un économiste renommé, est couronné pour son éloge de Colbert ; Bailly, qui appartient depuis six ans à l’Académie des sciences, dispute à Chamfort le prix sur l’éloge de Molière et n’obtient que l’accessit. A propos des réceptions de l’Académie française, il court une série de plaisanteries banales, que l’on répète agréablement dans les salons ; ce qui n’empêche pas qu’on s’arrache les places pour y assister, si bien qu’on est obligé de construire de nouvelles tribunes afin de satisfaire les solliciteurs. Il est vrai que. lorsque, un peu plus tard, le libraire de l’Académie a livré les discours au public, on ne se gêne pas pour les trouver mauvais et pour redire irrévérencieusement, après Grimm, que cette éloquence, dont on a beaucoup parlé la veille, ressemble, le lendemain, aux carcasses d’un feu d’artifice éteint.

Ce qui est tout à fait significatif, c’est ce qui se passe aux élections académiques : elles sont plus disputées que jamais et deviennent de véritables batailles. Aussitôt qu’un siège est vacant, on se met en campagne. Les gens de lettres qui malmenaient l’Académie, quand elle n’avait pas de place à leur donner, changent de ton dès qu’ils voient quelque espérance d’y être admis. Les candidats les plus acharnés sont souvent ceux qui semblaient ses plus âpres ennemis. Montesquieu l’avait raillée dans ses Lettres persanes, l’appelant « un établissement singulier et bizarre, qui n’a d’autre fonction que de jaser ; un corps composé de quarante têtes, toutes remplies de figures, de métaphores, d’antithèses ; » il disait « qu’elle s’était érigée en une espèce de tribunal, et qu’il n’y en avait pas de moins respecté dans le monde. » On sait pourtant qu’il alla jusqu’à commettre presque un faux pour y être reçu. On intrigue, on cabale, on sollicite les gens d’importance, on fait agir les ministres ; surtout on se met sous la protection des belles dames, — personne n’ignore qu’elles sont toutes-puissantes. Pendant un temps, les académiciens ont presque tous été de la façon de Mme de Lambert, de Mme de Tencin, de Mlle de Lespinasse. Cet exemple est