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III

Je crois d’abord qu’il n’est guère douteux que l’Académie française n’ait été enveloppée dans la haine qu’on portait alors aux corporations. La démocratie d’aujourd’hui ne rêve que syndicats et associations. En 1789, on les avait eu horreur et la Révolution s’est faite en partie pour les détruire. Mais on aurait dû se demander avant tout si l’Académie était une corporation véritable, comme celles que proscrivait l’Assemblée constituante. Pouvait-on l’accuser d’exercer sur quoi que ce fût la moindre tyrannie ? Personne n’était forcé d’en être ; elle s’était imposé la loi de ne choisir que ceux qui se présentaient à ses suffrages. Elle n’empêchait aucune autre association d’exister ; toutes avaient le droit de faire ce qu’elle faisait elle-même ; et de le faire mieux qu’elle, quand elles y pouvaient réussir. Ceux qui se mêlaient d’écrire exerçaient librement leur métier en dehors d’elle. Le théâtre français recevait les pièces de Pradon comme celles de Racine ; Barbin, ce chien de Barbin, éditait les ouvrages dont il espérait tirer du profit, que l’auteur appartînt ou non à l’Académie. Ce qui caractérisait les corporations et les rendait odieuses, c’étaient les privilèges dont elles faisaient jouir certaines personnes, au détriment des autres ; l’Académie n’en avait aucun qui fût de quelque importance, et Pellisson, qui songeait au solide, s’en plaint un peu, dans son Histoire. Le seul que Richelieu ait accordé aux académiciens dans sa charte de fondation, c’est celui qu’on appelait le droit de committimus ; c’est-à-dire « la faculté pour eux d’évoquer à Paris toutes leurs causes personnelles, possessoires et hypothécaires, tant en demandeurs qu’en défendeurs, » ce qui les dispensait d’aller plaider devant les tribunaux de province. L’avantage était mince pour les pauvres gens de lettres, qui n’ont guère de « causes possessoires et hypothécaires » à défendre, et l’occasion d’en profiter ne doit pas s’être souvent présentée. On remarquera que, dans les mêmes lettres patentes qui instituent l’Académie, il n’est pas question d’un traitement attribué aux membres qui la composent. C’étaient des fonctions entièrement gratuites, et elles le sont restées jusqu’en 1683, où Colbert, pour encourager ses confrères à être assidus et à pousser avec plus de vigueur l’achèvement du Dictionnaire, créa le jeton de présence. Le jeton valait