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l’Académie, le cardinal de Bernis, qu’on avait surnommé pour ses petits vers galans Babet la bouquetière, le cardinal de Rohan, l’homme du collier, l’archevêque de Sens, Loménie de Brienne, n’avaient aucune raison d’être suspects d’un fanatisme gênant. Les hommes d’État et les grands seigneurs qu’elle avait admis n’étaient pas non plus de ceux dont la littérature eût rien à redouter. Je ne parle pas de Malesherbes, qui protégea l’Encyclopédie ; mais l’aimable duc de Nivernais, un descendant des Mancini, était en même temps un fort agréable lettré, qui aurait mérité l’Académie pour ses poésies, s’il ne l’avait obtenue pour sa naissance, et quant au prince de Beauvau, c’était l’un des plus beaux caractères de ce temps, un bon soldat, un citoyen éclairé, un riche généreux, qui inspirait un tel respect qu’on le laissa mourir tranquillement chez lui, en pleine Terreur. Parmi les choix faits en dehors de la littérature, le seul que l’Académie ait pu regretter est celui de l’avocat général Séguier. Il appartenait franchement au parti rétrograde, et ne le cachait pas. Comme il crut que Thomas, en recevant un nouvel académicien, avait fait contre lui une allusion malicieuse, il lui fit défendre par le chancelier de faire aucune lecture dans les séances publiques. Une autre fois, après un discours de Saint-Lambert, qui l’avait choqué, il se leva et le contredit devant toute l’assistance. Il avait raison au fond : Saint-Lambert s’était trompé ; mais ce démenti public infligé à un confrère parut une suprême impertinence. Quant aux membres de l’Académie française qui n’avaient d’autre titre d’y être admis que leurs ouvrages, outre ceux qu’elle prit à l’Académie des Inscriptions, l’historien Gaillard, Bréquigny, Chabanon, Barthélémy, l’auteur du Voyage d’Anacharsis, et ceux qui appartenaient déjà à l’Académie des Sciences, Condorcet, Bailly, Vicq d’Azir, on en comptait quinze, qui n’étaient que des hommes de lettres : Marmontel, Saint-Lambert, Delille, Suard, La Harpe, Ducis, Lemierre, Chamfort, Target, Morellet, Guibert, Sedaine, Rulhières, Florian et Boufflers[1]. Ce sont des noms honorables, rien de plus ; la liste ne contient ni un grand poète, ni un grand historien, ni un écrivain hors ligne. Mais où l’Académie les aurait-elle pris ? Par une singulière fortune, la fin de ce siècle a été aussi stérile en littérature que les premières années. Le seul

  1. Boufflers, qui était un grand seigneur, a été plutôt élu pour ses petits vers et ses contes libertins que pour sa naissance.