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Si vous venez ici bientôt, vous verrez tout cela de vos yeux. Je commence à croire que le néant n’est pas moins curieux que toute autre chose. Du moins faut-il s’y accoutumer. Je voudrais bien savoir aussi où vous en êtes de vos travaux. J’y pense souvent et en attends le résultat avec une vive impatience. Pour les miens (si parva licet componere magnis) j’aurai fini mes deux derniers volumes dans trois mois à peu près…

A. DE GOBINEAU.


Bonn, le 22 juillet 1854.

La lettre que vous m’avez écrite le 12, mon cher ami, après avoir beaucoup couru le monde m’est enfin parvenue ici. Je ne sais ce que vous voulez dire quand vous me parlez de plusieurs de vos lettres auxquelles je n’aurais pas répondu. Je n’ai reçu, en réalité, qu’une lettre de vous depuis la dernière que je vous ai écrite. Dans cette lettre vous me parliez de l’Allemagne et vous exprimiez le désir que je pusse réaliser l’idée d’aller à Francfort. Si vous m’avez écrit depuis, votre lettre s’est perdue et ne m’a pas rencontré.

J’ai quitté la France vers le milieu du mois dernier et je suis venu presque sans m’arrêter jusqu’à Bonn, d’où je vous écris et où j’habite depuis environ un mois. J’ai pensé que je ne pouvais mieux faire, avant de pénétrer en Allemagne, que de chercher à dissiper un peu des ténèbres profondes qui ont toujours enveloppé cette partie de l’Europe à mes yeux et pour arriver à ce résultat j’ai cru, je pense avec raison, que le mieux était de rester longtemps dans le même lieu et d’y étudier sérieusement le pays dans les livres et dans la conversation des hommes. La vue superficielle de beaucoup de gens et de beaucoup de pays ne m’aurait pas instruit autant. J’ai choisi Bonn, parce que j’y connaissais déjà quelques membres de l’université, que j’y trouvais une grande bibliothèque et des hommes prêts à me renseigner et à compléter les idées toujours imparfaites qu’on puise dans les livres. J’ai donc élu domicile à Bonn. Nous y avons loué une petite maison sur les bords du Rhin et, sauf que je ne soupe pas, j’y vis comme un véritable naturel du pays. Malheureusement, il me manque de pouvoir parler la langue ; je commence à comprendre assez bien celle des livres, mais la conversation n’est encore pour moi qu’un son.