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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/827

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tranquilliser sa nouvelle belle-sœur en lui fournissant la preuve que son mari avait ignoré ce qui se tramait : « Peu de jours, dit-il, après le second mariage de Monsieur, le Roi prit Madame en particulier, lui conta ce fait[1], et ajouta qu’il la voulait rassurer sur Monsieur et sur lui-même, trop honnête homme pour lui faire épouser son frère, s’il était capable d’un tel crime. » Pour une première conversation de famille, ce n’était point banal ; mais il n’est pas bien sûr qu’elle ait eu lieu ; Saint-Simon n’était pas né en 1671, et il en parle d’après des bruits déjà lointains. Quoi qu’il en soit, d’une manière ou d’une autre Madame s’était renseignée, et son opinion ne varia jamais : « Il est très vrai, disait-elle, que Madame a été empoisonnée, mais sans que Monsieur le sût[2]. » Ce petit homme puéril et bavard, incapable de garder un secret et qui aurait fait « pendre » ses complices si on l’avait mis d’un complot, n’avait à aucun degré l’âme d’un criminel : « Monsieur est le meilleur homme du monde, confiait Liselotte à sa tante Sophie au bout d’une année de mariage ; aussi nous entendons-nous très bien[3]. »

Ces deux points réglés, il restait un ménage mal assorti, où le plus efféminé des hommes, le plus coquet et le plus mignard, se trouvait lié à une turbulente petite personne brouillée avec la contrainte, qui courait les bois à pied « pour sa santé, » contait des saletés parce que « ça fait rire » et que le rire est salutaire, jurait à l’allemande et était éternellement coiffée de travers. Ses femmes travaillaient inutilement à la rendre présentable ; il n’y paraissait plus au bout de quelques instans, et cela à cinquante ans comme à vingt. On lit dans une lettre de 1706 à sa sœur Amelise : « Quand par hasard je suis coiffée droit, on vient me faire des complimens, mais c’est rare. » Monsieur devait souffrir en la regardant, lui qu’une boucle dérangée rendait malheureux, et l’Electrice Sophie craignait que le contraste entre ce coup de vent et cette poupée ne fût trop criant pour le bonheur des deux. Elle écrivait à Charles-Louis au lendemain d’une conversation avec l’un de ces nombreux maîtres de danse français que le gouvernement de Louis XIV, pour des raisons à lui connues, encourageait à aller exercer leur industrie dans les cours allemandes :

  1. Allusion à un interrogatoire, par le Roi en personne, de l’un des complices présumés. Mémoires, grande édition in-8o, VIII, 318.
  2. Du 13 juillet 1716, à la raugrave Louise.
  3. Du 3 décembre 1672.