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la liberté. Ils ne pourraient, par exemple, contracter des engagemens à vie[1].


V

La pérennité, c’est-à-dire la perpétuité, qui s’attache à toute personne civile, est l’unique cause des dangers et des maux que l’on redoute quand il s’agit d’accorder aux associations l’existence civile complète, c’est-à-dire les droits de posséder, de contracter et d’ester en justice.

On craint, et avec raison, le l’établissement de la main-morte, c’est-à-dire l’accumulation de biens appartenant à des associations perpétuelles, constituées en vraies personnes civiles. Il est grave de conférer les droits civils à un être moral, entièrement distinct des individus qu’il représente, survivant à tous, immortel, recueillant des dons et des legs et dont la fortune, placée hors de la circulation, soustraite à tout partage, est destinée à s’augmenter sans cesse. La conséquence serait de permettre à des êtres purement fictifs d’accumuler une part importante des richesses publiques et d’acquérir une puissance par laquelle les lois économiques et politiques peuvent, dans certains cas, être tenues en échec[2].

L’exercice du droit de créer des fictions doit donc être

  1. Les associations de religieux ne pourront se constituer en prenant pour objet ou pour but de leur contrat l’accomplissement des vœux perpétuels ou non, de pauvreté, de célibat et d’obéissance, ces vœux ne pouvant être sanctionnés par les tribunaux. Mais ces associations, avec toute leur réglementation morale d’ordre intérieur ou privé, pourront parfaitement fonctionner en vue de la poursuite de tout but licite : scientifique, philanthropique, économique, religieux ou autre, du moment où le contrat d’association aura satisfait aux conditions de validité de tout contrat d’association, à savoir : temporarité et respect de la personnalité légale des associés.
    Dans ces conditions, il ne se concevrait guère, en effet, que des règles de conduite privée différentes, ou encore des vêtemens spéciaux par lesquels certaines personnes se distinguent, pussent être pour elles une cause de déchéance de leur droit de constituer des associations.
  2. Si l’on rattache l’idée de mainmorte à celle de personnification civile, c’est bien parce que celle-ci implique pérennité et abdication des droits de l’homme. On ne craint plus, en effet, cette mainmorte quand il s’agit d’associations à durée limitée et existant en vertu d’un contrat, — investies de ce que nous appelons la délégation civile, — puisque l’on accorde le droit illimité de posséder aux associations industrielles et commerciales. Et cependant, n’est-il pas évident que ce sont précisément ces associations de production, qui, le plus facilement, pourraient réaliser cette redoutable accumulation de biens ?