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divergence des interprétations personnelles, qui se présente à la conscience chrétienne avec la même valeur d’autorité, avec le même caractère d’obligation, soit que l’on accepte ou que l’on repousse le surnaturel. Orthodoxes et libéraux n’étaient unis entre eux, semble-t-il, que par le lien commun qui les unissait à l’Etat. Si donc, ce lien étant rompu, une séparation, intérieure à l’Eglise, venait à se produire, si du moins la division qui existe entre les deux grandes fractions de l’Eglise, fractionnées elles-mêmes Dieu sait en combien de morceaux, s’accentuait au point de mettre en péril, dans le sein de cette Eglise, la paix, il ne faudrait pas s’en étonner outre mesure. Il y a moins d’un an M. Montet, l’éminent et très aimable doyen de la Faculté de théologie protestante de Genève, m’exprimait des craintes sérieuses à cet égard, et il en tirait, je m’en souviens, son principal argument contre le projet Fazy. Ce qui s’est passé, après la séparation, en France, où l’Eglise protestante s’est divisée en trois tronçons : gauche, centre droit, droite conservatrice, est de fâcheux augure à ce point de vue.

M. Montet était convaincu, d’autre part, et je crois que cette conviction est partagée par un grand nombre de ses coreligionnaires, que le régime de la séparation d’avec l’Etat sera moins favorable à l’indépendance des pasteurs que celui de l’union avec l’Etat. Ce n’est point un paradoxe. L’union avec l’Etat, à Genève, ne gênait guère les pasteurs ; leur dépendance vis-à-vis du pouvoir civil n’avait assurément rien de comparable au joug, devenu si dur dans les dernières années de notre régime concordataire, qui asservissait l’Eglise de France à un pouvoir ennemi. Ce joug était devenu insupportable, et par exemple le droit de nomination des évêques, le droit de veto sur les nominations de curés faites par les évêques, ne pouvaient pas rester beaucoup plus longtemps à la discrétion de ministres des Cultes notoirement hostiles à la religion, sans que la dignité et la vitalité de l’Eglise de France ne courussent les plus graves dangers. Aussi les évêques les plus clairvoyans envisageaient-ils sans trop de peine l’éventualité de la séparation, malgré ses aléas. L’un d’eux, Mgr Le Camus, évêque de la Rochelle, s’affirmait nettement séparatiste et n’arrivait pas à comprendre ceux de ses collègues qui voulaient « concorder quand même. » « Quelle illusion peuvent-ils se faire ? m’écrivait à la fin de 1903 le docte et courageux prélat, celle d’Aristobule se laissant étouffer sous l’eau