Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attentions aussi flatteuses et, partant d’un magistrat aussi haut en place ? Quelquefois encore Patin se passe la débauche de s’aller promener on famille, comme ce jour où, accompagné de sa femme et de ses nouveaux mariés, il poussa jusqu’à la foire de Saint-Denis, et en profita pour visiter l’église et le trésor. Ce fut un événement.

Non certes qu’il faille s’attendre à trouver chez Gui Patin une sensibilité toujours très fine. Cet homme de famille est gendre à s’expliquer sur le compte d’une belle-mère en termes qui, même au pays gaulois, semblent un peu roides. La pauvre vient-elle à mourir ? « Gardez-vous bien d’en pleurer la mort : elle ne l’a pas mérité. C’était une bonne femme fort riche et fort avaricieuse qui ne craignait rien tant que la mort. » Le beau-père s’obstine à une longévité dont on ne prévoit pas le terme. Gui-Patin proteste qu’il ne hâtera pas la mort du vieillard, quoiqu’étant son médecin, ou, tout au moins, qu’il ne le fera pas exprès. « Ces gens-là ressemblent à des cochons qui laissent tout en mourant et qui ne sont bons qu’après leur mort, car ils ne font aucun bien pendant leur vie. Il faut avoir patience : je ne laisserai pas d’avoir grand soin de lui. » Ce grand soin consista à le saigner huit fois, comme il venait d’avoir quatre-vingts ans ; mais c’était pour son bien ; et il est exact que le vieil homme en fut tout ragaillardi. Passe encore pour les beaux-parens ! Cela nous choque davantage de voir un mari se plaindre — ou se louer — si librement de sa femme auprès de ses amis. « Ah ! que vous êtes heureux d’en avoir une si bonne, si parfaite, et de si belle humeur ! La mienne a bien plusieurs qualités fort bonnes ; mais elle est quelquefois chagrine et cruelle aux valets et servantes, qui sont des qualités desquelles je ne tiens rien. » Une autre fois, il s’égaiera aux dépens de la simplicité de la bonne dame. C’est lors de la fameuse visite aux tombeaux de Saint-Denis. Le bedeau, qui guidait la caravane, débitait un de ces boni-mens dont ils ont le secret. « Ma femme était ravie de ces bagatelles et prenait pour autant de vérités les petits contes qu’un moine lui débitait en les autorisant de sa baguette. J’étais déjà informé de ces sottises… » Son orgueil d’homme y trouve son compte. Car il n’attribue pas beaucoup de portée à l’entendement des femmes. Il est à ce point de vue, comme aussi bien à tous les autres, de l’ancienne école, et ne donne pas du tout dans les travers des galans du jour et des précieuses. Mademoiselle Patin, sa femme, n’avait guère plus d’accès dans l’étude aux dix mille volumes, que mademoiselle Montaigne, dans la « librairie » de son mari. Il y a bien de la rudesse dans cette honnêteté de Gui Patin.