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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/936

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rouge bonnet, ce bateleur à longue robe. Les libelles qu’on fabrique contre lui, tant en vers qu’en prose, et en français qu’en latin, ne sont pas tous spirituels ni piquans ; peu importe : Patin comprend et approuve qu’on y coure comme au feu. Il n’est guère mieux disposé pour les princes, pour les généraux et autres grands de la terre ; ce sont gens qui ne rêvent pour nous que plaies et bosses ; et Gui Patin n’aspire qu’à la paix. Autant que les princes, il honnit les financiers et partisans qui rançonnent peuple, paysans et bourgeois. Tout irait si bien, à condition que le Roi ne s’en rapportât qu’à lui seul ! Il semble donc que le gouvernement personnel de Louis XIV eût dû contenter pleinement Gui Patin. Mais il est, par habitude prise, un mécontent. C’est un lieu commun de sa rhétorique de déplorer le malheur des temps et l’universelle décadence. On ne reverra plus des hommes qui vaillent ceux d’autrefois. La France est trop bas ; elle est trop malade ; aucun remède, aucun médecin n’y saurait rien faire. Et pour un politique qui est mort après le traité d’Aix-la-Chapelle, qui a vu Turenne, Colbert et de Lyonne, c’est tout de même un peu trop manquer de clairvoyance.

Quant à ses opinions religieuses, elles dénotent plutôt l’érudit à la hollandaise et le lecteur d’Érasme, l’humaniste mâtiné de gaulois. Voyez la haine folle dont il est animé contre les moines ! Il les déteste, les méprise et les vilipende tous, de quelque ordre qu’ils soient, et en corps ou en détail. S’il apprend sur leur compte quelque anecdote grivoise ou quelque fait criminel, il s’empresse d’en régaler son correspondant. C’est un cordelier de Mantes surpris en conversation amoureuse avec la femme du lieutenant-général, un prêtre breton pendu pour avoir enlevé une religieuse, un chartreux de Paris qui a volé chez un orfèvre, des augustins qui se battent pour le partage des deniers à la sacristie, etc. Il se plaint de n’entendre plus parler que de moines, de leurs débauches, de leurs prisons et de leurs querelles. Mais c’est qu’il ne pense qu’à cela ! Cette chronique scandaleuse des ordres religieux tient, dans ses Lettres, une place énorme. A son avis, il n’y aurait qu’un moyen de remédier au mal et de guérir la France de cette espèce de lèpre : on devrait exiler tous ces gens-là. « Que ce serait un beau déblai, si l’on mettait tous ces moineaux dans des bateaux, avec autant de moinesses et qu’on les envoyât cultiver le purgatoire dans les îles de l’Amérique ou à la Mozambique, où les habitans de ces lieux n’ont point encore vu d’oiseaux de tel plumage ! » N’oublions pas que Gui Patin se pique d’être un libéral ! Toutefois dans cette guerre générale, on devine qu’il a ses ennemis