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prennent une portée, et ont un rôle dans l’histoire des idées. On a coutume de le placer au nombre de ceux qu’on appelle au XVIIe siècle les libertins. Il ne fut pas libertin de mœurs, nous le savons de reste. Fut-il libertin de pensée ? Notez qu’il n’est ni athée, ni même déiste. Il a chez lui un tableau du Christ, où il a fait peindre sa femme et lui-même, aux deux côtés de la croix ; il va régulièrement aux offices ; il fait un crime à tel de ses ennemis d’être mort sans confession. Il déclare formellement : « Je crois tout ce qui est dans le Nouveau Testament, comme article de foi. » Il n’en est pas moins vrai que les maîtres de sa pensée sont précisément les mêmes chez qui fréquentent les libertins, Érasme, Scaliger, Rabelais, Montaigne, Charron, Lipse, Vanini. Il ne manque dans sa bibliothèque aucun des livres qui sont pour lors les « bibles » du libertinage[1]. Et il est aisé de voir que, s’il s’y est plu, il n’y a pas moins profité. Sur la fourberie des prêtres, sur la ruse et sur l’avidité avec laquelle ils ont de tout temps exploité la crédulité populaire, il a des phrases décisives : « Je pense que de tout temps on a trompé le monde, sous prétexte de religion. C’est un grand manteau qui affuble bien des pauvres et sots animaux. » « La châsse de Sainte-Geneviève ne fait point plus de miracles qu’autrefois… et de tout temps le peuple qui est un sot a été trompé par de telles inventions. » Ailleurs il parlera de la vanité des oracles sibyllins et du parti qu’en tirent les moines pour nous abuser. Et il cite fréquemment le vers de Lucrèce : Tantum relligio potuit suadere maloram ! Direz-vous qu’apparemment il distingue entre la religion et l’usage, ou l’abus qu’en font les hommes ? Voici qui touche au gouvernement de l’Église. C’est le célibat des prêtres qu’il traite d’invention maudite. C’est l’excommunication romaine dont il plaisante agréablement : « On dit que lorsqu’un homme est excommunié, il devient noir comme poivre. Cela me viendrait donc bien à propos, car je commence à blanchir, et si je devenais noir, je croirais rajeunir. » Ce sont les foudres ecclésiastiques dont il se gausse comme d’une pièce d’artifice qui rate : « Le monde n’est plus grue et ne se mouche plus sur la manche ; cela était bon, du temps que Berthe filait et que l’on avait peur du loup garou. » Voici le tour des dogmes. Celui des peines éternelles. « Luther et Calvin ont ôté le Purgatoire ; ils pouvaient aussi bien nous ôter l’enfer ; nous serions comme rats en paille. » Celui de la rémission des péchés : « Les bonnes gens disent qu’il est mort

  1. Consultez sur ce sujet la remarquable étude de M. F. Strowski, Pascal et son temps, 1 vol. in-12 (Plon).