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toujours ouverte, qui privait notre conquête inachevée de la sûreté indispensable à son développement, ce traité a exercé la plus pernicieuse influence sur nos relations avec le Siam, et l’on peut même dire sur toute notre politique coloniale. En organisant entre nous et le Siam une hostilité forcée, il semait aussi entre la France et la Grande-Bretagne, dont le Siam se voyait contraint de rechercher de plus en plus la bienveillance intéressée, un germe de discorde qui a été fort près, un instant, de porter les fruits les plus amers. Nuisible au Siam, nuisible à la France ; il était par surcroît néfaste au Cambodge, auquel il nous interdisait d’offrir, en retour des souffrances matérielles que lui avait infligées notre protectorat, les compensations d’ordre moral qui auraient pu atténuer pour lui les conséquences des erreurs commises. Il nous contraignait à rester sourds aux protestations de la cour de Pnôm-penh et du peuple khmer, qui nous regardaient désormais comme responsables de leurs déboires.

Nous connaissions fort mal ces populations et la puissance de leurs instincts et de leurs besoins sentimentaux. Imbus des théories scientifiques ou pseudo-scientifiques sur la hiérarchie des races, — théories auxquelles la fortune des Japonais semble devoir porter un coup assez rude, — nous n’avons pas su pénétrer l’âme de ces Asiatiques, et trop souvent nous leur avons témoigné un mépris qu’ils ne méritaient pas. Les Cambodgiens, en particulier, inférieurs en intelligence et en activité aux Annamites, leur sont généralement supérieurs par le caractère et par le fonds moral. Vivant beaucoup du passé, confondant l’histoire et la légende, l’œuvre des dieux et le travail des hommes, que des monumens magnifiques ou des ruines grandioses remettent perpétuellement sous leurs yeux, en revivifiant dans leur cœur simple la gloire de leurs ancêtres et la trace sacrée de leurs vieux rois, ils ont une conscience profonde de leur nationalité et de ses droits.

Incapables de saisir cet aspect du problème, nous avions constitué au Cambodge un régime incomplet, et je demande à en rappeler les conditions et les effets.

En intervenant au Cambodge, l’amiral de la Grandière avait bien compris qu’il ne nous était pas possible d’employer d’autre procédé que celui du protectorat ; mais nous ne possédions pas la moindre expérience de cet artifice de gouvernement. Nous