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provision. D’autres, un peu moins imprudens, achetaient des valeurs pour le compte de leurs cliens en leur demandant seulement le 15 ou le 20 pour 100 du cours, gardaient les titres en garantie de la portion de prix non payée, puis les déposaient en nantissement dans une banque qui avançait à très gros intérêts la somme nécessaire au règlement. L’agent de change comptait à son client un intérêt plus énorme encore, la hausse continuait et chacun s’applaudissait de cette belle opération dont tous profitaient.

Au début de 1907, tout esprit réfléchi aurait pu, au seul aspect des nuages qui s’amoncelaient à l’horizon, prévoir la tempête qui se préparait. Les émissions de sociétés nouvelles se précipitaient ; chaque semaine, des réclames alléchantes en signalaient deux ou trois[1] ; les banques élevaient le taux d’intérêt de leurs avances en compte courant, les portant du 7 au 8, du 8 au 9 pour 100, sans parvenir à émouvoir les débiteurs de ces comptes ; les acheteurs à terme étaient heureux de payer des reports qui atteignirent, pour certaines valeurs spéculatives, le 60 et même le 80 pour 100 de cours démesurément enflés. Pour déchaîner l’orage, il suffit du coup de vent qui agita, dans le courant de mars, les bourses américaines, ébranla les valeurs de chemins de fer des Etats-Unis et eut sa répercussion sur les marchés européens. Lentement, mais irrésistiblement, la baisse commença, accélérée par les tentatives maladroitement faites pour relever artificiellement les cours, précipitée parcelle qui frappa le coton au printemps, transformée en effondrement par la suppression des paiemens de deux banques importantes, dont l’une utilisait des capitaux avancés par une banque viennoise, et l’autre se procurait des ressources en Angleterre sous couleur d’opérations de change.

Pour comble de malheur, la phase aiguë de la crise s’est manifestée au milieu de l’été, c’est-à-dire en pleine morte-saison, au moment où les marchés européens, d’ailleurs extrêmement déprimés depuis quelque temps, sont inactifs et où tous les capitalistes égyptiens, aptes à s’intéresser aux valeurs locales, se sont embarqués pour prendre leur villégiature. Chaque année, pendant

  1. De janvier à juin 1907, 44 sociétés (nous en avons sans doute oublié), presque toutes de nationalité anglaise, ont été constituées pour fonctionner en Égypte. En additionnant leurs capitaux, dont la plus grande partie fut souscrite en Égypte, on obtient un total de 9 250 000 livres sterling, soit près de 234 000 000 de francs, sans compter l’augmentation de capital réalisée pendant ce semestre par plusieurs sociétés existantes.