Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le plus déconcertant des hommes. Jusqu’ici toutefois, s’il s’est donné beaucoup de démentis sur d’autres points, il est resté fidèle à lui-même sur celui-là.

On a d’ailleurs bien fait d’envoyer au général Drude des renforts dont il avait un besoin si évident qu’on aurait même pu ne pas attendre qu’il les demandât. Ses forces étaient très insuffisantes, ce qui s’explique par le fait que ni le gouvernement, ni personne d’ailleurs, n’avait prévu la nécessité où nous nous sommes trouvés de bombarder Casablanca et de faire face ensuite à toutes les conséquences de l’opération. Nos troupes ont rempli tout leur devoir, et l’opinion chez nous a éprouvé un peu de déception et de tristesse à voir qu’après avoir remporté un premier succès, elles étaient obligées de s’arrêter et de se replier sur le camp, tandis que l’ennemi emportait tranquillement ses morts, allait se reformer un peu plus loin et revenait à la charge. Ce jeu de cache-cache ne pouvait pas se prolonger indéfiniment. Il y a une mesure en toute chose, et si nous condamnons les expéditions à l’intérieur, cela ne veut pas dire que le général Drude doive être attaché à Casablanca par une corde si courte qu’il ne puisse livrer que des moitiés, ou des tiers, ou des quarts de combat. Il faut qu’il puisse se déployer, occuper des points stratégiques, faire enfin tous les mouvemens tactiques que comportent la configuration du terrain et les mouvemens propres de l’ennemi. Il n’a probablement pas encore toutes les forces nécessaires, et cela même deviendra certain si Moulaï-Hafid déclare la guerre sainte. Alors, il faudra livrer autour de Casablanca autre chose que des escarmouches. Quelles que soient la supériorité de notre armement, celle de notre tactique, la précision plus grande de notre tir, nous n’oserions pas dire que le général Drude soit dès ce moment en mesure de s’assurer tous les avantages d’une de ces batailles dont le vaincu ne se relève pas. Mais quoi ! Pour faire une expédition à l’intérieur, et marcher sur Fez par exemple, avec la nécessité où nous serions de nous protéger de tous les côtés en même temps et de maintenir nos communications, soit avec la mer, soit avec notre frontière algérienne, soit avec les deux, il faut cent mille hommes : pour livrer bataille à Casablanca, il en faut six mille. On voit la différence. Et quand nous parlons de Fez, croit-on qu’il suffirait d’y aller pour faire tomber toutes les résistances ? Jamais erreur n’aurait été plus grande. Le Maroc est le pays le plus divisé du monde, le plus anarchique, celui où l’autorité est le plus morcelée, et elle l’est aujourd’hui plus encore qu’elle ne l’était hier. Nous n’y serions maîtres que