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Sur la place du Pont-de-Beauvoisin, partie Savoie, et sur celle de Saint-Genix-d’Aoste, les Mandrins « faisaient leur carillon. » Ils y faisaient l’exercice, au son des fifres et des tambours, pour le plus grand plaisir des Savoyards qui accouraient en foule ; ils y avaient installé des tirs à la carabine, où les compagnons devenaient habiles à « démonter » le gâpian ; ils y faisaient leurs enrôlemens. « Les contrebandiers battent journellement la caisse, — écrit M. de la Tour du Pin, commandant pour le Roi au Pont-de-Beauvoisin ; — ils battent la caisse en proposant de s’engager dans la brigade de Mandrin. Ils promettent beaucoup d’argent, de bons chevaux, du plomb et de la poudre. » Ils se rangeaient en bataille, sur la rive droite du cours d’eau, de préférence à la tête des ponts, d’où ils narguaient les soldats en faction sur l’autre bord. Pour tâcher de mettre fin à ces « indécences, » le chevalier de Chauvelin, ambassadeur français à Turin, avait obtenu que l’on installât des dragons piémontais au Pont-de-Beauvoisin, part de Savoie. Mandrins et dragons piémontais devinrent frères et amis. Dans les maisons de bouteille, au bord de l’eau, on les voyait vider chopine, en un joyeux concert. Ils ne se querellaient que sur la manière dont ils faisaient respectivement l’exercice, — par esprit de corps.

Les Mandrins sont de jeunes gars, de beaux gars, des boute-en-train. Ils plaisent aux filles de Savoie. Ils font des chansons sur les argoulets, sur les soldats de La Morlière et sur les filles des villages, part de France, que ces lascars ont pu charmer. Leur Muse a la main un peu lourde et nomme chacun par son nom. Sur les rives du Guiers-Vif, gars et filles de Savoie viennent chanter les chansons des Mandrins, en vue des corps de garde où les argoulets se mêlent aux gâpians ; mais ceux-ci n’aiment pas cette plaisanterie. Le dimanche 4 mai 1755, plusieurs des chansonniers sont allés entendre la messe à Saint-Christophe, part de France, car il n’y a pas de service à Saint-Christophe Savoie. Les argoulets les ont reconnus. Ils tombent sur eux à coups de crosse et de plat de sabre ; des jeunes filles sont frappées à coups de poing et leurs robes sont déchirées.

Passe encore pour les chansons ; mais entre Mandrins et argoulets, d’une berge du Guiers à l’autre, ce ne sont qu’insultes et menaces. Le marquis de Saint-Séverin, banquier et ami de Mandrin, a son château sur les bords mêmes de la rivière. Les contrebandiers y sont comme chez eux. Gare aux gens des