Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les bras liés, la corde au col, et un écriteau derrière le dos, où se lisaient ces mots : Chef de contrebandiers, assassin, criminel de lèse-majesté, faux monnayeur, perturbateur du repos public.

Entre les rangs pressés d’une foule compacte, Mandrin traversa en biais la place du Présidial, où se trouvait la prison, pour se rendre à l’entrée du vieux cloître, à celle des trois portes de la cathédrale que l’on nommait la « porte du Pendentif. » Devant lui, le vieux pendentif carré, aux colonnes cannelées, aux chapiteaux fleuris d’acanthe ; à l’arrière-plan, les murs sombres et massifs du cloître et le côté droit de la cathédrale.

Mandrin se mit à genoux, au seuil de la porte, et lut d’une voix tranquille la formule de l’amende honorable qui débutait par ces mots : « Je demande pardon à Dieu, au Roi et à la justice ; » suivait l’énumération des délits qui lui étaient reprochés. Il fit cette amende honorable, note Michel Forest « avec un air fier et aussi martial que celui qu’il devait avoir lorsqu’il se battait, ce qui étonna tous les assistans. » Puis Mandrin, traversant le grand Mazel, vint à la place des Clercs où l’échafaud avait été dressé.

La place des Clercs et la petite place aux Arbres, autrement dite des Ormeaux, avec laquelle elle communiquait, grouillaient de curieux. Des spectateurs étaient grimpés jusque sur les toitures plates des maisons voisines, d’autres s’accrochaient aux balustrades des frontons. Les pilastres romans, dont est ornée l’abside de Saint-Apollinaire, retenaient des grappes humaines. Les toitures des vieilles baraques en appentis, adossées au mur de l’église, faillirent crouler. Comme pour un spectacle, des entrepreneurs avaient dressé des échafaudages où la place se payait douze sols. Des brigades de maréchaussée, mandées de Tournon et de Saint-Vallier, accompagnèrent Mandrin au supplice. Le régiment de TalIaru, en garnison à Valence, était sous les armes. Par surcroît de précaution, on avait fermé les portes de la ville. Il était six heures du soir.

Arrivé devant l’échafaud, le condamné s’arrêta quelques instans pour en examiner la construction. Son allure était très simple. Il s’assit sur la croix de Saint-André, où le bourreau allait devoir lui briser les membres, et dit tout haut :

— Jeunesse, prenez exemple sur moi.

Car l’on avait fait placer au premier rang, pour voir cet