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exécrées, que Fouquier-Tinville, toujours alerte à cette besogne, signa l’acte d’accusation le jour même où la Convention avait voté le renvoi des inculpés devant le tribunal. Précipitation d’autant plus surprenante que, rendu le 16 floréal, le décret de la Convention ne fut enregistré au tribunal, c’est-à-dire qu’il n’eut force légale, que le 18. Au fait, du moment où il s’agissait de détruire les « sangsues du peuple, » il n’y avait pas à se préoccuper des délais légaux.

Le 7 mai au soir, on remit aux prisonniers une copie de leur acte d’accusation, qui remplissait les deux côtés d’une grande fouille couverte d’une écriture très fine et difficile à lire. Les fermiers généraux s’apprêtaient à en prendre connaissance, pour savoir de quoi ils étaient accusés, lorsqu’on leur cria de la cour d’éteindre leurs lumières. « Il nous parut vraisemblable, écrit Delahante, que l’on ne nous avait enjoint d’éteindre nos lumières que pour nous priver de la faculté de connaître les choses dont nous devions être accusés et de préparer des moyens de défense. » Le 8 mai, on introduisit auprès d’eux les avocats d’office qui leur avaient été désignés. Ces défenseurs improvisés avaient un quart d’heure pour s’entretenir avec leurs cliens. Nos financiers étaient accusés d’être « les auteurs d’un complot contre le peuple français, tendant à favoriser le succès des ennemis de la France. » Lavoisier et ses compagnons ne savaient pas ce que cela voulait dire.

Il était dix heures du matin quand les accusés « libres et sans fers » furent conduits dans la salle du tribunal révolutionnaire, où ils s’assirent l’un près de l’autre sur les gradins. Le tribunal était présidé par Coffinhal, vice-président, que secondaient deux assesseurs, Etienne Foucault et François-Joseph Denizot. Chacun d’eux était assis devant une table distincte où se trouvaient une bouteille de vin et un verre. A droite des trois juges, un peu en retour, l’accusateur public. A la suite, plus en arrière encore, une estrade entourée de gendarmes, où ‘prirent place les fermiers généraux. Chaque accusé avait devant soi une plume et une feuille de papier. En face des inculpés les douze jurés, coiffés de bonnets rouges. Au-dessous des juges, le greffier écrivait sur une table basse. Puis deux huissiers et les avocats d’office. La salle était bondée de curieux, difficilement contenus par une rangée de gendarmes qui étaient placés à deux mètres l’un de l’autre, la baïonnette au fusil.