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je les croyais sûres. Ce matin il m’est démontré qu’elles sont perdues. Je regrette vivement d’avoir voulu lutter seul contre une intrigue vieille et bien liée : j’ai 17 voix, et ils en tiennent 21 à peu près. Mais ils les tiennent invariablement. Cependant je leur ai déclaré qu’il était trop tard pour reculer ; je combattrai jusqu’au bout et puis je les enverrai à tous les diables et ne m’y présenterai jamais. C’est la ligue de la médiocrité contre le talent en tout genre. Il faut voir pour croire.

Je suis content et très content de mes partisans. — Les voici : Chateaubriand (franchement et noblement), Bonald, Pastoret, de Sèze, Daru, Villemain, Michaud, Laîné, d’Aguesseau, Parseval, Ferrand, Lally, duc de Lévis, Laplace, Soumet, l’archevêque de Paris et M. Frayssinous qui me sert bien.

Quant aux autres royalistes qui me sont contraires, c’est pitoyable : ils préfèrent tout à moi. Si M. de Lacretelle eût été bien, tout serait changé pour moi ; mais je n’en espère que de mauvais tours. N’en parle pas : mais ôte-toi toute espérance, elle est impossible. Dans Paris on croit que je triomphe, mais j’ai vu ce matin le dessous des cartes en confidence. Je ne cesse de courir et d’écrire. Adieu, je vais dîner chez Pastoret et puis me coucher. Je n’ai pas encore fait une course pour mon plaisir : et je suis tout le jour en voiture !

A toi mille amours ! mille amitiés à ta mère ! à Julia, mille baisers ! mille tendresses à maman et mon père et Vignet.

AL.


13 novembre, le samedi[1].

Bonjour, chère vie de mon aine ! Je me lève et je t’écris. Aujourd’hui j’ai du temps, je ne veux pas sortir qu’un moment pour me promener ; il faut se donner un peu de repos de tête, car elle se briserait, tant elle a été tendue ces jours-ci ! Et puis je vois clairement qu’il y a impossibilité, par conséquent peine perdue en vain, et tout à fait en vain puisque pour rien au monde je ne recommencerais cette humiliante cérémonie : je donnerais cent louis de n’avoir pas affiché cette prétention vraiment au-dessous du vrai talent ! Excepté quatre ou cinq hommes que la longueur des années et la vie publique a amenés là, le reste est une coterie d’imbéciles menés par quatre intrigans. Ces derniers sont si furieux que j’aie osé les attaquer de front devant leurs confrères et l’opinion du public, qu’ils remueront ciel et terre pour m’empêcher d’arriver : beaucoup de mes partisans sont faibles et peureux devant eux et ils donneront les mains à un troisième ou quatrième choix pour me repousser et repousser aussi [mon concurrent Droz. Je n’aurai gagné que beaucoup d’ennuis et de dépenses et de fatigues. Cependant, malgré la certitude où je suis de ma défaite, je ne fais semblant de rien et je continue à agir : lundi, je me remets en action. Je laisse passer aujourd’hui et demain, pendant lesquels jours mes amis écrivent et sollicitent. J’ai passé tête à tête hier la soirée avec M. le duc de Montmorency qui court pour moi aujourd’hui, mais il n’espère rien non plus.

Du reste, j’ai vu Prévôt qui est en faveur et excellent pour nous. Il

  1. A Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.