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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/364

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Signalons seulement un procédé très caractéristique du travail que fait Lamartine sur l’expression. Le premier jet lui fournit presque toujours le mot qui suggère un détail réel, et enferme un sens concret ; à l’heure des retouches, il y substitue un terme plus vague. Il avait d’abord écrit :


Humbles toits que l’enfant aimait à voir fumer.


Et il était lui-même cet enfant, qui se souvenait d’avoir vu la fumée monter au-dessus du toit paternel. À cette expression il en préfère une moins précise, et il corrige en : « Toits que le pèlerin… » De même, il avait dit :


Et que l’oiseau du ciel vienne bâtir son nid
Aux lieux où notre mère eut autrefois son lit.


Ce dernier vers est devenu :


Aux lieux où l’innocence eut autrefois son lit.


Il n’est personne aujourd’hui qui ne préférât, dans ces deux cas, le terme original. Mais il faut prendre tel qu’il est le style « lamartinien. » — Et la plus précieuse « correction » fut faite par la mère du poète. En décrivant la maison natale, Lamartine, par un procédé habituel à son imagination, y avait « ajouté » un lierre qui n’existait pas dans la réalité. L’excellente femme souffrit de ce petit mensonge poétique. Ne voulant pas que son fils eût menti, même pour donner une couleur de plus à un tableau imaginaire, elle planta de ses propres mains un lierre à l’endroit où il manquait.

Mais combien les conditions de vie, l’état d’esprit où se trouve Lamartine pendant les années que nous venons de parcourir, nous font comprendre le genre d’inspiration des Harmonies. À cette époque unique, il est arrivé à réaliser en lui cette espèce de sérénité de l’âme, qu’il avait si longtemps souhaitée. On connaît la profession de foi adressée naguère à Virieu, et où il déclarait se marier « par religion » et vouloir s’enchâsser dans l’ordre établi avant nous. » Ce bonheur, sérieux et grave, Lamartine maintenant le possède. Le vif amour qu’il a ressenti pour sa femme, au temps de Naples et d’Ischia, se continue par une affection profonde et délicate. Il a près de lui la grâce de sa fille, l’enfant charmante que tous admirent. Il s’est attaché à