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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/468

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un salaire plus élevé a marqué sa banqueroute matérielle et morale, son entrée dans le système de la dette et de l’emprunt sur gages. Peut-être faut-il reconnaître ici un autre des traits distinctifs du caractère anglais : à savoir un profond respect de la hiérarchie sociale, avec les divers privilèges comme aussi avec les divers devoirs, qui y sont attachés. A chaque catégorie d’emplois doit répondre un mode particulier de « tenue » et de train de vie. L’ouvrier qui reçoit 50 shillings par semaine se trouve contraint, en honneur, à plus de frais de « représentation » que lorsqu’il ne gagnait encore que 40 shillings. Dans nombre de maisons, lady Bell a découvert un piano, qui n’avait là d’autre destination que d’être un meuble de luxe, sans qu’aucun des habitans de la maison s’avisât jamais de l’ouvrir. Qu’arrive maintenant une maladie, un accident, la dépense imprévue d’un mort à enterrer : et le piano va rejoindre, chez le prêteur sur gages, les beaux habits de la famille, en attendant qu’il y soit rejoint, à son tour, par les meubles les plus utiles, et tout le reste de la lingerie et de la garde-robe. A chaque pas de notre promenade à travers les « rues basses » de Middlesbrough, nous entrevoyons des maisons qu’un malheureux hasard vient ainsi de vider : un groupe d’enfans en haillons s’occupent à jouer ou à se battre, dans la boue de la rue ; et, sur le seuil, une jeune femme à peine moins sale et moins déguenillée, la mère de ces enfans, relève tristement les yeux du journal de courses qu’elle est en train de lire, pour voir si son mari ne va pas, enfin, sortir du cabaret où elle sait qu’il s’enivre depuis de longues heures.


L’ivrognerie et le jeu : s’ajoutant aux causes générales d’appauvrissement que j’ai essayé d’indiquer, ces deux vices sont la grande source de la misère de l’ouvrier de Middlesbrough, en même temps que les deux grands instrumens de sa dégradation. Il semble bien, en vérité, que l’habitude de s’enivrer publiquement dans les débits de boissons ait un peu décru, depuis que des lois nouvelles exposent le cabaretier à répondre de l’ivrognerie de ses cliens : encore que ces lois, suivant toute apparence, aient eu pour résultat d’accroître le chiffre des hommes et des femmes qui s’enivrent chez soi. Mais nous n’en Usons pas moins que, certain dimanche, un total de 90 414 personnes sont entrées dans les cabarets et bars de la ville : et, dans ce total, figurent 21 594 femmes et 13 775 enfans ! D’un bout à l’autre, toutes les rues ouvrières de Middlesbrough sont remplies de tavernes, dont il n’y en a pas une qui ne prospère admirablement. Du vendredi soir, surtout, qui est le moment de la paie, jusqu’au