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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/529

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début remonte pratiquement à un demi-siècle, dans ce continent moins peuplé que tout autre sur le globe, une entreprise de chemin de fer était plus hasardeuse qu’elle ne le peut être aujourd’hui au centre de l’Afrique. Elle était d’ailleurs soumise à moins de formalités, de la part des États naissans et débonnaires du Nouveau Monde, qu’un chemin de fer transafricain n’en devra subir actuellement, de la part des administrations vieillies et méticuleuses de l’Europe, qui se sont partagé sur la carte le continent noir.

Une fois la concession obtenue, sans peine, la construction était plus malaisée, faute de ressources ; l’exploitation enfin se réglait en pertes, faute de trafic. Telle fut l’histoire de beaucoup de chemins de fer américains ; les chiffres le prouvent. Il fallut un grand courage, une irrésistible énergie et une imagination prophétique, durant les vingt années qui suivirent la guerre civile (1863-1883) pour aventurer son temps, son argent et sa réputation dans ces voies ferrées qui devançaient le peuplement et l’industrie. Leurs recettes trop faibles ne justifiaient pas alors le capital englouti dans ces propriétés devenues plus tard si fécondes. Beaucoup des premiers « railroadmen » ne réalisèrent aucun profit pour eux-mêmes, et les millions ne pouvaient être attirés vers eux que par l’appât d’obligations offertes très au-dessous du pair, et auxquelles on ajoutait un supplément d’actions gratuites.

Le rayonnement de quelques succès inouïs lança sur ces pistes fameuses des centaines d’êtres solidement charpentés pour les batailles épiques des locomotives. Le temps dirigeait leurs méthodes et leurs méthodes, peu scrupuleuses, s’accommodaient au temps. L’opinion était unanime à laisser le champ libre à ces poursuivans de fortune. Il fallait que le mirage des espérances dorées masquât à leurs yeux les écueils où la plupart se brisèrent ; de peur qu’au lieu de spéculer sans cesse, richissimes et demi-riches ne s’ankylosassent prudemment dans l’inaction d’un luxe stérile.

Cette émulation porta ses fruits. Par elle, les États-Unis se trouvèrent dotés, vers 1883, d’un système complet de chemins de fer. Accru depuis vingt-quatre ans, le réseau américain, avec ses 348 000 kilomètres, dépasse de beaucoup en étendue celui de l’Europe (243 000 kilomètres) ; il a coûté bien meilleur marché. En Europe, le prix du kilomètre ressort en moyenne à 385 000 francs ;