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parce qu’ils possèdent les journaux et passent pour tenir à leur dévotion les agens du pouvoir, en réalité travaillent eux-mêmes, les premiers, en vue des intérêts et dans le sens des idées de la masse… parce Qu’ils ne peuvent pas faire autrement. C’est le cas de ces groupemens d’industries similaires, — les trusts, — sur le compte desquels ont été portés tant de jugemens contradictoires, bien qu’exacts, chacun à son heure et suivant les temps.

Il est advenu au siècle dernier, en Amérique comme en France, qu’un travailleur plus hardi ou plus habile, plus « chanceux » surtout que les autres, a embauché un grand nombre d’autres travailleurs. Au lieu d’un compagnon et d’un « apprentif, » il en a pris cent ou mille et a fondé peu à peu ce qu’on nomme une usine. Et tandis que la société politique se nivelait, que l’on abolissait les privilèges, la société économique se féodalisait. L’homme qui commande à beaucoup d’autres, qui leur donne du pain en leur donnant de l’ouvrage, qui, ce faisant, s’enrichit et perfectionne son outillage, semblait devenir inexpugnable derrière ses marteaux-pilons, ses broches à filer, ses turbines ou ses comptoirs, comme le haut justicier du XIIIe siècle à l’abri de ses fossés et de son donjon. C’était un « grand, » un « noble, » eût-on dit naguère, puisque c’était un « fort. » Etait-ce un nouveau partage des hommes qui commençait ? Qui de nous allait tomber en « villenage ? » Et ce fut le premier degré de l’évolution.

Mais voici le second. Ce « grand industriel » n’était solide qu’en apparence. Comme le seigneur d’autrefois un plus fort a raison de lui, le chasse de sa demeure, s’en empare ou la détruit. Cela, le plus simplement du monde : un autre fabricant se contente d’un bénéfice moindre ; le premier doit aussitôt réduire son gain. D’un autre côté, ses ouvriers réclament des supplémens de salaires. Or mille ouvriers répartis chez 500 maîtres ne sont que poussière devant leurs 500 patrons ; employés chez un seul, ils discutent avec lui d’égal à égal. Si ce patron cède, son profit disparaît peut-être ; s’il ne cède pas, la fabrique s’arrête, les commandes iront ailleurs.

En attendant le retour du beau temps, survient un troisième fabricant qui, lui, a su abaisser son prix de revient par la découverte d’un nouveau procédé, d’une nouvelle substance. Il faut transformer le mécanisme et l’usine tout entière, s’il s’agit d’un