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Europe ne sont pas vendus à prix ferme, — ils refusent de les céder ainsi, — mais bien loués moyennant le paiement d’une redevance proportionnelle aux services qu’ils rendent. Un compteur les surmonte et fixe chaque jour, d’après le travail effectué, le montant du tribut mensuel que la nation cadette impose aux sœurs aînées dont elle secouait hier la tutelle.

Que ce soit une machine à laver les assiettes sales ou à charger automatiquement les fours d’acier Martin-Siemens ; une machine à vider un train de 6 000 kilos de minerai en une heure, avec deux hommes, ou à poser sur les corsets les œillets de laçage, en perçant à la fois les 15 ou 18 trous où viennent se loger d’eux-mêmes les petits anneaux de cuivre ; que ce soit une machine destinée à remplacer un long effort ou un simple geste à économiser mille francs ou cent sous, à hâter la besogne d’une minute ou d’un mois, les États-Unis, qui avaient plus que d’autres le besoin de ces esclaves de fer en ont développé le génie, même le culte. Outre les écoles de mécanique appliquée qui fonctionnent avec succès dans nombre de villes, de puissans établissemens entretiennent chez eux des vingt et trente « inventeurs » professionnels, comme les usines allemandes de produits colorans entretiennent des douzaines de chimistes et comme les fabricans français de soieries entretiennent des dessinateurs.

Dans de petits bureaux séparés et silencieux, le compas ou le crayon en main, penchés sur des tables couvertes de plans et d’épurés, ces « découvreurs » de machines, jeunes pour la plupart, travaillent à rendre pratique quelque moyen nouveau de réduire la main-d’œuvre. Ils gagnent à cela 40 et 50 francs par jour ; ils imaginent peu ou prou, nul ne les dérange ni ne les presse. Lorsqu’ils croient avoir trouvé quelque chose, ils sont libres, ou à peu près, de donner corps à leur idée en faisant exécuter un modèle. Un magasin entier est tout plein de ces essais d’un jour dont la plupart vont au rebut, et cette dépense d’efforts inutiles représente plusieurs centaines de mille francs par an. Mais qu’un nouvel appareil, un nouveau perfectionnement, une simplification quelconque sorte du cerveau de ces praticiens, et l’usine rentre au décuple dans ses débours.

C’est le cas de cette manufacture de Beverly, — l’United Shoe machinery, — d’où viennent, non pas les chaussures elles-mêmes, mais les 120 outils différens qui servent à faire mécaniquement les chaussures : machines à découper les empeignes, à coudre