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tranquille depuis la lecture du Moniteur. Certes, je ne me mêlerai de rien, à moins d’y être, forcé par mon service militaire. Or la résistance sera toute constitutionnelle et morale, on refusera l’impôt… le gouvernement croulera si le ministère n’est pas chassé, et je n’ose l’espérer. Mais en admettant même qu’une résistance ouverte appelât l’intervention des troupes, ce ne serait jamais qu’à l’époque des élections, elles sont fixées au 3 septembre ; mon service finit le 31 août. Dès le lendemain, j’aurai fait vingt postes sur la route d’Italie, et j’y resterai au moins tout l’hiver. Je ne veux pas me retrouver une seconde fois dans une situation où les devoirs sont complexes. N’ayez donc aucun souci particulier pour moi, il n’y en a que trop à prendre de ce qui se passe ! »

Nous continuâmes à nous lamenter, à craindre, à nous effrayer, à prévoir les malheurs du pays, mais assurément nos prévoyances étaient bien loin encore de la réalité. Il me quitta en promettant de venir passer le samedi suivant à ma campagne. Je ne l’ai pas revu !

Je pensais bien à ce moment qu’il n’aurait pas dû retourner à Saint-Cloud ; j’entrevoyais une belle et noble lettre à écrire en rappelant les événemens de 1814. Mais il n’était pas assez indépendant de fortune pour que j’eusse osé la lui conseiller, lors même que ma liaison avec lui eût été aussi intime que l’absence et le malheur l’ont rendue depuis. D’ailleurs, ces choses-là, pour être bien faites, doivent être spontanées.

Je sortis, selon mon habitude, et je fus très frappée de l’aspect des physionomies ; elles portaient une curiosité sombre. Les gens qui se connaissaient s’arrêtaient pour se parler. Les autres s’interrogeaient de l’œil en passant. Si un visage calme se rencontrait, on se disait : « Celui-là ne sait rien encore. »

Cela est si vrai que lorsque, le lendemain, tout le monde a su, tout le monde s’est regardé, et tout le monde s’est entendu. Il n’y a pas eu d’autre conspiration.

C’est même dans cette unanimité d’indignation qu’il faut chercher la cause de l’extraordinaire magnanimité de ce peuple soulevé. Il reconnaissait partout des complices et en voyait même dans ces soldats qui tiraient sur lui. Mais n’anticipons pas sur les événemens ; ils vont assez vite.

Le soir, je vis quelques personnes dans l’opposition au ministère Polignac, mais attachées à la Restauration. Toutes étaient