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Les ministres y avaient déjeuné avant leur départ pour Saint-Cloud.

Le maréchal était monté chez lui. A peine assis à table, ils avaient entendu quelques coups de fusil du côté du Louvre, puis davantage. M. de Glandevès s’était écrié :

— Maréchal, qu’est-ce que c’est que cela ?

— Oh ! de ce côté-là, cela ne peut pas inquiéter… Ah ! mon Dieu ! cette réponse n’arrivera donc pas !

Cependant, au bout d’une minute, le maréchal avait repris : « Cela augmente, il faut aller y voir. » Ils étaient redescendus à l’Etat-major, le maréchal avait saisi son chapeau et courut rejoindre ses chevaux placés devant les écuries du Roi. Pendant ce court trajet, M. de Glandevès lui avait dit :

— Maréchal, si vous vous en allez, vous me ferez donner un cheval de dragon, je ne veux pas rester ici tout seul.

— Êtes-vous fou ? Il faut bien attendre ici la réponse de Saint-Cloud.

En disant ces paroles, le maréchal montait à cheval. A peine en selle, il avait aperçu la colonne des Suisses fuyant à toutes jambes à travers le Carrousel ; il n’avait exprimé son sentiment que par un jurement énergique, et était parti au galop pour tâcher vainement d’arrêter les Suisses.

Quelques secondes s’étaient écoulées et M. de Glandevès avait vu le maréchal avec une poignée de monde travaillant à faire fermer les grilles de la cour ; et toutes les troupes, y compris l’artillerie, filant au grand galop à travers le palais.

Sous le pavillon de l’Horloge, le peuple poursuivant les soldats avait débouché par la rue du Louvre ; il occupait déjà les appartemens du Roi où il était entré par la galerie des tableaux.

Le pauvre Glandevès, se trouvant seul de sa bande en grand uniforme, au milieu du Carrousel, courut de toutes ses forces pour regagner le petit escalier de l’Etat-major. On tira sur lui, mais sans l’atteindre. C’était dans le moment où il entrait dans le passage souterrain qui conduit de l’Etat-major au -palais, que mon valet de chambre l’avait aperçu et lui avait parlé. On comprend du reste qu’il eût l’air fort troublé.

Il m’apprit aussi qu’Alexandre de Laborde[1]faisait partie

  1. Alexandre-Louis-Joseph, comte de Laborde (1774-1842). Directeur des ponts et chaussées de la Seine. Député (1822 à 1841). Préfet de la Seine à la révolution de 1830. Aide de camp de Louis-Philippe Ier.