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arriva tard ; il avait vu M. de Mortemart dans son lit très souffrant d’un violent accès de fièvre. Rien de ce qui s’était passé à l’Hôtel de Ville, ni à la Chambre des députés, n’était favorable à sa mission.

Le petit nombre de pairs, réunis au Luxembourg, s’y seraient volontiers ralliés ; mais ils sentaient combien ils auraient peu d’influence dans ces circonstances. La république, dont personne ne voulait, devenait imminente si on ne prenait promptement un parti. Et sous un nom, ou sous un autre, ce parti ne pouvait venir que de Neuilly.

On savait vaguement que des démarches avaient été faites de ce côté. Enfin, à près de minuit, M. de Fréville[1]vint nous apprendre l’arrivée de M. le duc d’Orléans au Palais-Royal. Un gouvernement provisoire était décidé. Le prince en serait le chef, les ministres étaient désignés et le général Sébastiani nommé ministre des Affaires étrangères.

Je m’écriai combien c’était un choix fatal. Je connaissais l’aversion de Pozzo pour lui et l’intensité de ces haines corses. Il suffirait de ce nom pour le rendre aussi hostile à M. le duc d’Orléans qu’il lui était favorable jusqu’à présent. Son influence sur le corps diplomatique, dont il disposait en grande partie, préparait un obstacle énorme.

Tout le monde le reconnut, en signalant l’importance d’en avertir au Palais-Royal. On m’engagea à en prévenir ; mais il était minuit, et les nominations devaient, disait-on, être connues le lendemain matin !

Ici a commencé l’espèce de petit rôle politique que j’ai pu jouer dans ces grands événemens. Il n’était ni prévu, ni préparé ; et il n’a duré qu’un jour. Le parti carliste en a eu révélation et m’en a su plus mauvais gré qu’il n’était juste. J’y ai été entraînée, sans préméditation, par la force des choses. Mais peut-être ai-je, en effet, facilité, dans les premiers momens, l’établissement de la nouvelle royauté, pour laquelle l’ambassadeur de Russie s’est déclaré ouvertement. J’aurais gardé un silence éternel sur toute cette transaction si lui-même n’en avait parlé le premier.

Le samedi, 1er août, au point du jour, et après y avoir bien réfléchi toute la nuit, je me décidai à écrire à Mme de Montjoie.

  1. Baron de Fréville, conseiller d’État.