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« Je reconnais, dit-il en concluant, qu’il était impossible d’arriver plus noblement au seul résultat possible. Je l’admets. Mais moi, misérable serf attaché à cette glèbe, je ne puis m’affranchir de ce dogme de légitimité que j’ai tant préconisé. On aurait toujours le droit de me rétorquer mes paroles.

« D’ailleurs, tous les efforts de cette héroïque nation seront perdus ; elle n’est comprise par personne. Ce pays, si jeune et si beau, on voudra le donner à guider à des hommes usés, et ils ne travailleront qu’à lui enlever sa virilité !…

« Ou bien on le livrera à ces petits messieurs, — c’est le nom qu’il donne spécialement à M. de Broglie et à M. Guizot, objets de sa détestation particulière, — et ils voudront le tailler sur leur patron !

« Non, il faut à la France des hommes tout neufs, courageux, fiers, aventureux, téméraires, comme elle ; se replaçant d’un seul bond à la tête des nations !

« Voyez comme elle-même en a l’instinct ! Qui a-t-elle choisi pour ses chefs lorsqu’elle a été livrée à elle-même ?… des écoliers… des enfans ! Mais des enfans pleins de talens, de verve, d’entraînement, susceptibles d’embraser les imaginations, parce qu’ils sont eux-mêmes sous l’influence de l’enthousiasme !…

« Tout au plus faudrait-il quelque vieux nautonier pour leur signaler les écueils ; non dans l’intention de les arrêter, mais pour stimuler leur audace. »

Le plan de son gouvernement se trouvait suffisamment expliqué par ces paroles. M. de Chateaubriand le dirigeant, avec des élèves des écoles et des rédacteurs de journaux pour séides, tel était l’idéal qu’il s’était formé, pour le bonheur et la gloire de la France, dans les rêveries de son mécontentement.

Cependant il fallait en finir et sortir de l’épique où nous étions tombés. Je lui demandai s’il n’avait aucune réponse pour le Palais-Royal où j’irais le lendemain matin.

Il me dit que non, sa place était fixée par ses précédens. Ayant depuis longtemps prévu les circonstances actuelles, il avait imprimé d’avance sa profession de foi. Il avait personnellement beaucoup de respect pour la famille d’Orléans. Il appréciait tous les embarras de sa position que, malheureusement, elle ne saurait pas rendre belle parce qu’elle ne la comprendrait pas et ne voudrait pas l’accepter suffisamment révolutionnaire. Je le quittai évidemment fort radouci. Et il y a loin du