Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On peut dire, sans exagération, que toute la littérature du VIIe siècle, bien que réduite pour nous à l’état de menus fragmens, est pleine d’Homère. L’auteur du Catalogue hésiodique visait l’Odyssée et connaissait les voyages d’Ulysse, qu’il interprétait d’ailleurs sous l’influence de notions plus avancées[1]. Terpandre, vers 700, passait pour avoir mis en musique des morceaux d’Homère[2]. Archiloque, entre 700 et 650 environ, insérait dans ses compositions des réminiscences ou des imitations de l’Iliade et de l’Odyssée, et notamment de certains passages de ce dernier poème qui semblent devoir être comptés parmi les moins anciens[3]. Callinos d’Ephèse, vers le même temps, nommait Homère, auquel il attribuait la Thébaïde[4]. Alkman, un peu plus tard, mettait en scène, dans un parthénée, la rencontre d’Ulysse et de Nausicaa ; et quelques fragmens de lui ne permettent pas de douter qu’il n’eût imité d’autres parties encore de l’Odyssée[5]. Alcée, son contemporain à quelques années près, imitait, dans un des rares fragmens qui nous restent de lui, un vers du 20e chant de l’Iliade[6]. Des témoignages analogues sont fournis par des œuvres d’art. Plusieurs scènes tirées de l’Odyssée ou même de poèmes certainement postérieurs figuraient sur le célèbre coffre de Kypsélos, qui paraît avoir été ciselé à Corinthe dans le même siècle[7], Dès ce temps, par conséquent, les poèmes ioniens avaient passé la mer, et ils étaient assez connus dans la Grèce centrale pour que le public pût comprendre ces scènes. L’Odyssée est ainsi rejetée en arrière dans le passé au-delà de l’an 700, et l’Iliade, certainement plus ancienne, recule à son tour d’autant.

D’autres indices nous invitent à remonter plus loin encore. Certaines idées, certaines croyances, qui ont dominé la Grèce historique, sont encore absentes de l’Odyssée. Le meurtre, même volontaire, n’y est pas considéré comme une souillure. Les parens de la victime, seuls, ont un devoir de vengeance ; les

  1. Hésiode, éd. Rzach, fr. 65, 66.
  2. Plutarque, De musica, III, 9.
  3. Archiloque (Fragm. poetar. graecor. de Bergk), fr. 55, 62, 64, 73, 78 et surtout 70 (à rapprocher de l’Odyssée, XVIII, 135).
  4. Callinos, fr. 6, Bergk.
  5. Alkman, fr. 28-32, Bergk.
  6. Oxyrynchus Papyri, II, p. 66 (col. XI, l. 6).
  7. Pausanias, V, c. 17 et 18. Il est à remarquer que les sujets représentés sur ce coffre attestent tous un état des légendes héroïques bien plus avancé que ne le font l’Iliade et l’Odyssée.