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poète incomparable, qui aurait vécu moins de cent cinquante ans avant lui, et dans son propre pays ?


III

C’est aussi par l’étude directe des poèmes homériques, par les observations qu’ils suggèrent, par les témoignages qu’ils nous fournissent sur les aèdes et leur public, par tout ce qu’ils nous laissent entrevoir de leur propre histoire, qu’on peut essayer, en l’absence de renseignemens positifs, de deviner quelque chose du secret de leur formation.

L’opinion de M. Bréal sur ce point capital n’est pas très facile à préciser. On croit deviner chez lui une certaine indécision finale, résultant de plusieurs conceptions successives. Il repousse résolument l’idée d’une combinaison artificielle et tardive, qui aurait créé deux poèmes admirables avec des morceaux incohérens. Ce qu’il dit à cet égard ne peut qu’être entièrement approuvé. Et, à parler franchement, on pourrait même se demander s’il y avait lieu de s’occuper encore de cette conception déjà lointaine. Elle a eu son heure, et elle a été utile, comme le sont souvent les hypothèses qui secouent les vieilles opinions et qui obligent à considérer les choses de plus près. Mais enfin, nous ne sommes plus au temps de Lachmann. Sa doctrine est morte, et rien n’annonce qu’elle doive renaître. En la repoussant, M. Bréal n’accepte pas non plus l’idée d’une Iliade qui serait sortie un jour des mains de son auteur telle que nous la lisons. A moins de fermer les yeux, en effet, à des disparates, à des manques de suite, à des différences trop évidentes, il faut bien reconnaître que notre poème porte la trace, soit de conceptions diverses, soit d’altérations plus ou moins profondes. La pensée du savant critique paraît être qu’il a été composé d’abord sous une forme plus simple pour être produit dans des jeux ou concours publics, et qu’ensuite il a été grossi peu à peu, toujours en vue de ces mêmes concours. « L’Iliade, dit-il, une fois exécutée en son plan simple et grandiose, a reçu des agrandissemens successifs, non point au hasard, non point par dilettantisme littéraire, ce qui serait prématuré, mais parce qu’à intervalles réguliers revenait la même solennité où avaient été données les premières productions. Les agrandissemens viennent du même centre qui avait vu naître le thème