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du poème, mais c’est au contraire une observation attentive de sa vraie nature, qui pousse la plupart des critiques contemporains à en chercher l’explication dans une élaboration plus ou moins lente et complexe.

Rien d’ailleurs, ni dans l’Iliade ni dans l’Odyssée ne vient à l’appui de l’hypothèse d’après laquelle les poèmes primitifs ou leurs agrandissemens les plus anciens auraient été composés en vue d’amples récitations et de grandes solennités, par une corporation d’aèdes. Il n’y a point d’aèdes épiques dans l’Iliade ; il y en a au contraire plusieurs dans l’Odyssée, mais ils y apparaissent toujours comme isolés. Chacun de ces chanteurs y est attaché à une maison princière, dont il est l’hôte habituel. Il y récite ses chants à la fin des repas, en les variant selon le goût des convives et quelquefois sur leur demande ; et ces récits, d’après ce qui en est dit, ne semblent pas avoir plus d’étendue qu’un de ces épisodes de l’Iliade qui viennent d’être mentionnés. Par les sujets traités, ce sont précisément des épisodes de ce genre.

Chacun d’eux forme un tout, et ce tout est un événement détaché d’un ensemble légendaire. Quant à la récitation d’une épopée complète, au sens que nous donnons à ce mot, il n’en est question nulle part. Bien plus : lorsque le roi Alkinoos donne à Ulysse une fête qui remplit toute une après-midi, l’aède Démodokos n’y fait entendre qu’un chant assez court. Le poète odysséen ne songe même pas à nous mettre sous les yeux un concours de poésie, comme il nous représente un concours de jeux d’adresse. Il avait là pourtant, si ces concours eussent existé alors, une occasion toute naturelle de glorifier son art. D’après cela, si l’on veut s’abstenir de substituer l’imagination pure aux données positives, ce n’est ni par de grandes solennités ni par le travail collectif d’une corporation qu’il faut expliquer la croissance des poèmes homériques. Nous devons au contraire poser en principe qu’ils ont dû être récités d’abord et pendant longtemps selon le mode unique qu’ils mettent en scène, c’est-à-dire sous forme de chants isolés, et aussi, par conséquent, qu’ils ont été composés en vue de ce genre de récitation. Cela n’est aucunement en désaccord avec la définition qui vient d’être donnée de leur unité. Si l’auteur des plus anciennes parties de l’Iliade a déjà commencé à établir quelque liaison entre les scènes qu’il avait composées, ce fut sans doute parce qu’étant le familier d’un des princes de son pays, il eut l’occasion de les réciter