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commencent qu’après la prise d’Ilios ; elles sont un simple épisode de la guerre de Troie ; et c’est parce qu’il a été mêlé à cette guerre que ce thème a pris naissance. Au contraire, la légende de Pénélope et des prétendans, quelle qu’en soit l’origine, est tout à fait indépendante de la même guerre. C’est sans doute un vieux récit péloponnésien, dont le caractère naïf, et peut-être mythique, se marque dans l’invention de la toile éternellement tissée et jamais achevée. Les prétendans, naturellement, sont aussi anciens que cette toile qui sert à déjouer leurs espérances ; et, par conséquent, dès qu’Ulysse a été associé par la poésie à Pénélope, il a dû tuer les prétendans. Or nous ne trouvons trace nulle part d’une tradition quelconque qui aurait donné à Ulysse une autre épouse légitime que Pénélope. C’est donc la vengeance du héros qui doit être considérée comme l’élément fondamental de la légende odysséenne, tandis que les voyages n’en seraient qu’un développement ultérieur.

Cela ne prouve pas, bien entendu, que la dernière partie de l’Odyssée soit antérieure, en sa forme actuelle, à celle qui a pour sujet les pérégrinations. Le récit odysséen, là comme ailleurs, n’est qu’un dernier état d’une légende qui a évolué et que des poètes conteurs se sont transmise l’un à l’autre. Dans tous les cas, ce récit, tel qu’il est aujourd’hui, paraît bien trahir, comme celui des voyages, des remaniemens importans. Déjà, dans l’antiquité, on considérait la descente des prétendans chez Hadès, et même tout ce qui suit la reconnaissance d’Ulysse et de Pénélope, comme une addition. La critique moderne est allée beaucoup plus loin. Kirchhoff a fait ressortir d’importantes contradictions dans le rôle de Télémaque et dans les instructions données par Ulysse à son fils à propos des armes suspendues aux murs de la salle. Wilamowitz a noté des traces manifestes d’une élaboration progressive dans la répétition étrange d’un même motif : l’outrage infligé à Ulysse par un convive brutal se renouvelle trois fois, du XVIIe chant au XXe. Otto Seek, dans son importante étude sur les sources de l’Odyssée[1], a pris pour point de départ la scène du combat final, et il a cru pouvoir démontrer, d’abord qu’elle était faite du rapprochement de plusieurs versions diverses, et ensuite que chacune de ces versions se rattachait à une Odyssée complète, qui aurait eu son existence

  1. Die Quellen der Odyssee, Berlin, 1887.