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l’alchimie et la sorcellerie que la science. Il avait essayé, sans y réussir, il en convenait, de voir le diable, et il avait demandé à des verres d’eau les secrets de l’avenir. Il se livrait aussi à des expériences plus sérieuses. Pour diriger ces expériences, il avait fait appel à un savant, Hollandais d’origine, appelé Homberg (et non pas Humbert, comme le nomme Saint-Simon), que depuis plusieurs années déjà il avait fait venir d’Allemagne où il s’était rendu célèbre par des perfectionnemens apportés à la machine pneumatique d’Otto de Guérick, et qui devait être un jour de l’Académie des sciences. « Il le prit auprès de lui, dit Fontenelle, dans l’éloge de Homberg qu’il prononça à l’Académie des sciences, lui donna une pension et un laboratoire, le mieux fourni et le plus superbe que la chimie ait jamais eu. Là se rendoit presque tous les jours le prince philosophe ; il recevoit avidement les instructions de son chimiste, souvent même les prévenoit avec rapidité ; il entroit dans le détail de toutes les opérations, les exécutoit lui-même, en imaginoit de nouvelles, et j’ai vu plusieurs fois le maître effrayé de son disciple[1]. »

Ces très inoffensives occupations du duc d’Orléans, qui lui font plutôt honneur en montrant la curiosité de son esprit, et la présence habituelle auprès de lui d’un savant parfaitement respectable, à qui le monde scientifique a toujours rendu justice, contribuèrent pour beaucoup aux soupçons atroces dont il fut l’objet et qui ne tardèrent pas à se traduire en accusations ouvertes. Saint-Simon voit dans ces accusations le résultat d’un complot habilement ourdi entre Mme de Maintenon et le duc du Maine, pour détourner de ce dernier les soupçons qui auraient dû, à juste titre, peser sur lui. Point n’est besoin d’imaginer tant de noirceur. En aucun temps, le vulgaire n’a jamais admis que les événemens tragiques et, en particulier, les morts rapides eussent une cause naturelle. A plus forte raison devait-il en être ainsi à une époque où la croyance au poison était, comme nous l’avons dit, fréquente. D’ailleurs, l’accusation éclata si rapidement que les deux auteurs du complot n’auraient guère eu le temps de s’entendre pour le fabriquer. Saint-Simon lui-même rapporte que le 17 février, c’est-à-dire cinq jours après la mort de la Duchesse de Bourgogne, lorsque le duc d’Orléans fut, avec Madame, lui donner l’eau bénite, « la foule

  1. Œuvres complètes de Fontenelle. Édition de la Haye, 1729, t. III, p. 200.