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que la faire sentir plus vivement. On ne sauroit voir le Roi ni y penser sans être au désespoir et sans être dans des alarmes continuelles pour sa santé. Pour ma tante, il ne m’est pas possible de vous en parler que pour obéir à l’ordre qu’elle m’a donné. Elle ne sauroit avoir l’honneur de vous écrire et vous le comprendrez aisément. »

Ce n’était qu’un mois plus tard que Mme de Maintenon écrivait elle-même à la princesse des Ursins : « Il est vrai, madame, que je suis triste : jamais personne n’a eu plus sujet de l’être, mais comptez que toute la Cour l’est autant que moi. Tout manque, tout paraît vide ; il n’y a plus de joie ni d’occupation. Le Roi fait tout ce qui lui est possible pour se consoler et retombe toujours dans sa première douleur. Il me la confie, et vous sentez bien que c’est une grande augmentation à la mienne. Cependant, sa santé se soutient et il ne manque aucun travail. Notre petit Dauphin vit, malgré tout le monde. Je n’ai pu encore me résoudre à le voir. J’y aurois pourtant moins de peine que je n’en aurois eu pour celui que nous avons perdu, car il ressembloit en tout à Madame la Dauphine[1]. »

Si touchantes que soient ces deux lettres, c’est encore à Saint-Simon qu’il faut, comme toujours, demander l’expression la plus éloquente du regret universel : « Avec elle, dit-il après avoir tracé un long portrait de la Duchesse de Bourgogne, s’éclipsèrent joie, plaisirs, amusemens mêmes, et toutes espèces de grâces. Les ténèbres couvrirent toute la surface de la Cour ; elle l’animoit tout entière ; elle en remplissoit tous les lieux à la fois ; elle y occupoit tout ; elle en pénétroit tout l’intérieur. Si la Cour subsista, après elle, ce ne fut plus que pour languir. Jamais princesse si regrettée ; jamais il n’en fut si digne de l’être. Aussi les regrets n’en ont-ils pu passer, et l’amertume involontaire et secrète en est constamment demeurée, avec un vide affreux qui n’a pu être diminué[2]. »

L’éloquente apostrophe par laquelle Saint-Simon termine le portrait du Duc de Bourgogne est trop connue pour que nous croyions devoir la reproduire[3]. On voudrait que ses regrets

  1. Madame de Maintenon d’après sa correspondance authentique, t. II, p. 300 et 303.
  2. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 91, et, presque dans les mêmes termes. Additions au Journal de Dangeau, t. XIV, p. 86.
  3. Voir t. X, p. 115.