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une terre privilégiée dans laquelle se dessinaient, pour l’Église, certaines conditions de vie prospère, et qu’elle créât des précédens auxquels le reste de l’épiscopat allemand pourrait recourir avec fruit. Ce que la Prusse protestante accordait en terre rhénane, comment les autres États seraient-ils fondés à le refuser ? Mais dès lors, puisque la force des choses, puisque l’ascendant même de Geissel faisaient qu’en travaillant pour son diocèse il travaillait pour les autres diocèses allemands, ses actes prenaient une portée qui ne pouvait être soustraite au contrôle de Rome. Geissel le sentait ; sa correspondance avec le Saint-Siège était incessante.

« En ce qui regarde l’uniformité d’action vis-à-vis des gouvernemens, écrivait-il, je crois qu’une telle uniformité ne peut être obtenue efficacement que par des directions que Rome ferait parvenir aux évêques. » Il reçut en 1852 la visite de l’archevêque Sibour, de Paris, qui trouvait de plus en plus indiscrète l’intervention des congrégations romaines dans la juridiction des évêques, et qui aurait souhaité que Geissel s’en plaignît à Rome. Geissel soupçonna Sibour de gallicanisme et lui conseilla d’aller lui-même porter ses griefs ad limina. « Aujourd’hui, insista-t-il, nous ne pouvons être forts vis-à-vis de l’État et parmi notre clergé, que par une union étroite et sans réserves avec le Saint-Siège, par une union de cœur et d’âme. De Rome nous vient notre force, notre indépendance, notre liberté. »

Il avait un grand commerce épistolaire avec Viale Prela, nonce à Munich et puis à Vienne, et il trouvait un ami précieux, — un frère, disait-il même, — dans un personnage dont l’action fut décisive pour la pénétration de l’Allemagne par l’influence romaine : Charles-Auguste de Reisach. Archevêque de Munich jusqu’en 1856, Reisach devint, cette année-là, cardinal de curie à Rome : la fin de sa vie fut consacrée à renseigner Rome sur l’Allemagne et l’Allemagne sur Rome. Nul comme lui ne connaissait la Ville éternelle ; jeune, il avait étudié au collège Germanique et dirigé le collège Urbain de la Propagande ; vieillard, il luttait aux côtés de Pie IX, pour la défense de l’esprit romain dans l’Allemagne catholique. Jeune, il avait aidé Grégoire XVI à traiter avec les États de l’Allemagne la question des mariages mixtes ; blanchi sous la pourpre, il reprenait auprès de Pie IX ce rôle de consulteur. Il suffisait à Reisach de confronter sa vieillesse avec sa jeunesse pour mesurer la différence des