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une si belle ordonnance, abandonnent la barrière qu’ils laissent ouverte. Ils ne songent qu’à se replier sur la ville. « L’homme le plus intrépide, écrit un abbé qui se trouvait à Beaune, eût frémi, je ne dis pas de crainte, mais d’horreur, en voyant arriver les contrebandiers. Ils traversèrent le faubourg Madelaine à grande course de cheval, fusils hauts et criant unanimement : « — Tue ! tue ! mettons le feu à la ville ! » Le bon abbé note que « le chevalier Mandrin » rendit toute précaution inutile par son arrivée précipitée.

Comme c’était jour de marché, il y avait beaucoup de voitures aux abords de la porte de la Madelaine, où les Mandrins se présentèrent. Le pont était encombré de charrettes entoilées, contre lesquelles les contrebandiers culbutèrent pêle-mêle avec la garde montante de l’échevin Terrant.

Celle-ci veut défendre l’accès du pont parmi toutes ces carrioles. Une fusillade s’engage. Parmi les défenseurs de la place, le tailleur Sébastien Bonvoux et un nommé François, huissier, « qui avait servi longtemps » et qui poussait la porte de la ville pour la fermer, sont tués. Un soldat du régiment d’Auvergne en semestre chez son père se montre au haut des remparts, d’où il tombe dans les fossés frappé d’une balle. Un vitrier nommé Manière est grièvement blessé ; le reste se met en débandade. Les Beaunois avaient fini de rire. Ces contrebandiers avaient des fusils qui vous tuaient les gens, ce qui était une singulière plaisanterie.

Tandis qu’une partie des Mandrins pénètrent dans la ville par la porte ouverte, leurs camarades grimpent quatre à quatre un escalier de pierre, appliqué contre le mur, à côté de la porte, jusqu’au haut du rempart.

Les margandiers font éclater dans les rues des salves de coups de fusil. Les habitants fuient, ils se terrent. Midi sonne à l’horloge du beffroi. Les Mandrins sont 66 ou 67 hommes. Ils ont des fusils à deux coups, et des biscaïens. Ils sont jaunes et bronzés. « La plus grande partie, notent les chanoines du chapitre, étaient en habits de Savoyards. » Ils ont bien l’air de bandits : paquets de haillons où brille l’acier des armes. Ils ont de petits chevaux vifs et nerveux, mais qui semblent harassés de fatigue. Au milieu d’eux, Mandrin, leur capitaine, est resplendissant, avec son habit gris à boutons jaunes, sa veste de panne rouge à carreaux, un mouchoir de soie autour du cou, et