[la nouveauté]. » On lisait encore : « Dans l’amour, ces deux qualités [le naturel et la vivacité] sont nécessaires : il ne faut rien de force, et cependant il ne faut rien de lenteur. » Qu’on lise avec le second copiste : « Il ne faut rien de forcé, et cependant il ne faut point de lenteur, » et tout s’explique. Ailleurs enfin, nous lisions, non sans quelque trouble : « L’amour n’a point d’âge : il est toujours naissant. Les poètes l’ont dit ; c’est pour cela qu’ils nous le représentent comme un enfant. Mais sans lui rien demander, nous le sentons[1]. » Il faut lire, ce qui offre un sens : « Mais sans leur rien demander [aux poètes], nous le sentons. » On pourrait multiplier les exemples. Ceux-là suffiront peut-être à établir l’incontestable supériorité, sinon l’antériorité, du second texte par rapport au premier. Et ne peut-on pas, à tout le moins, s’étonner qu’un copiste aussi consciencieux, si réellement le Discours était de Pascal, n’en ait pas été informé, et n’en ait pas fait mention ?
Mais, dira-t-on sans doute, si le Discours sur les passions de l’amour n’est point de Pascal, de qui est-il[2] ? Nous ne sommes point tenus de le rechercher ; et nous y sommes même tenus d’autant moins qu’ici les indices positifs nous font entièrement défaut, et que les hypothèses les plus diverses peuvent se donner
- ↑ Le dernier éditeur du Discours sur les passions de l’amour, M. G. Michaut, s’est évertué, après M. Brunschvicg, à expliquer ce passage ; et voici l’explication qu’il nous proposait : « Cela veut-il dire, se demande-t-il : L’amour a dans notre âme une éternelle jeunesse ; il a toujours la nouveauté d’un sentiment qui vient de naître. Mais, tout enfant qu’il soit, nous ne le sentons pas moins, nous le subissons, sans avoir à lui demander compte de sa durée, de son âge ? » — Notre nouveau texte, on le voit, rend toute cette ingéniosité d’interprétation inutile.
Il n’y a guère qu’un point où le texte de l’ancien manuscrit me paraisse réellement supérieur au texte nouveau ; et la divergence s’explique par une faute d’inattention du copiste qui a simplement passé une ligne. Il a écrit : « Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvemens de l’amour de leurs héros eux-mêmes, » au lieu de lire, comme l’autre copiste : « Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvemens de l’amour de leurs héros : il faudrait qu’ils fussent héros eux-mêmes. » - ↑ Notons un petit détail de langue sur lequel il serait puéril de vouloir échafauder tout un système, mais qui peut contribuer, s’il est tout à fait exact, à renforcer l’opinion de ceux qui inclineraient à croire que le Discours n’est pas de Pascal. « C’est de là, y lisons-nous, c’est de là que ceux de la cour sont mieux reçus dans l’amour que ceux de la ville. » — Je ne crois pas avoir rencontré l’expression « la ville » opposée à « la cour » avant 1660 : il me semble, — et M. Huguet, dans son tout récent et précieux Petit Glossaire des classiques français du XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1907 [article ville] me confirmerait dans cette impression, — il me semble que ce tour date du règne personnel de Louis XIV. Et le Discours, s’il est de Pascal, ne pouvant pas être postérieur à 1654, on voit la conséquence, — que je ne veux point tirer, n’étant pas assez sûr de mon fait.