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Le vin arriva promptement. Le maire dut vider son verre le premier, après avoir trinqué avec le bandit. Mandrin ne but d’ailleurs que très peu, crainte de se griser. Apprenant que tout était tranquille dans la ville de Beaune, il dispersa ses hommes, à l’exception de sept ou huit sentinelles qui restèrent postées de distance en distance, l’œil au guet. Le restant des contrebandiers se répandirent dans les cabarets pour boire, ou chez les armuriers pour faire réparer leurs fusils ou leurs pistolets.

Au logis de la Petite-Notre-Dame, Mandrin, rassuré sur les dispositions des habitans, laissait entrer qui voulait le voir. C’était une cohue. Il n’avait gardé auprès de lui que quatre ou cinq camarades, entre autres un contrebandier qu’on nommait « le Brutal. » Et tant de monde s’engouffra dans la chambre où il se trouvait que celle-ci en fut « pleine comme un œuf. »

Que si l’on eût voulu s’emparer de lui dans ce moment, notent les chanoines du chapitre, rien n’eût été plus aisé, car ils étaient serrés dans cette chambre, au point que nul des contrebandiers n’eût pu faire usage de ses armes. Mais, ajoutent les chanoines, personne ne se souciait de faire quelque chose en faveur des fermiers généraux.

Cependant l’argent n’arrivait pas. Les receveurs des Fermes, qui n’avaient pas la somme chez eux, faisaient la quête en ville. De temps à autre, celui des Mandrins qu’on nommait « le Brutal » sortait de la pièce, pour s’en aller dans la rue voir si rien ne venait, puis il rentrait pour répéter avec insistance que, décidément, il fallait partir en emmenant le maire comme otage. Gillet s’ingéniait à imaginer de bonnes paroles pour faire prendre patience.

« Mandrin, lui, au moindre bruit, prêtait l’oreille, étant toujours en crainte des régimens mis à sa poursuite. » Enfin, sur les deux heures et demie, Estienne, entreposeur des tabacs, et Saint-Félix, receveur du grenier à sel, arrivèrent avec 20 000 francs.

M. David de Chevannes, qui avait accompagné le maire, crut alors le moment propice, tandis que l’on présentait cet argent au contrebandier, de hasarder une plaisanterie. Il avait entendu vanter les bonnes œuvres de Mandrin, « qui prenait aux gros pour donner aux petits. »

« — Vous, qui êtes si charitable, vous avez là des demi-louis pour faire vos aumônes. »