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pas un sot, a haussé les épaules et dit : « Cela serait ridicule. » — M. Faguet est peut-être psychologue trop ingénieux et trop subtil. Le « très peu voluptueux » Boileau, s’il était plus philosophe qu’il ne l’est, aurait pu, ce me semble, avoir une réflexion de cette sorte ; cette pensée suppose simplement que l’on ait vu un peu aimer autour de soi, et que l’on ait réfléchi aux choses de l’amour.

Et il en va de même pour toutes les pensées que cite et commente M. Faguet. Il est possible qu’elles soient d’un homme qui a aimé. Il est également possible qu’elles soient d’un homme qui n’a jamais personnellement connu l’amour. Qui tranchera le débat ? Ce que nous savons — ou devinons — par ailleurs de la vie intime de Pascal.


III

La vie intime, et même la vie extérieure de Pascal ne nous sont malheureusement pas connues comme nous voudrions qu’elles nous le fussent. Les documens directs et personnels que nous possédons sur elles sont rares, souvent fragmentaires, et il faut presque toujours les compléter et les interpréter à l’aide de conjectures et d’hypothèses. Pareillement pour les documens extérieurs, si précieux qu’ils soient d’ordinaire, surtout quand ils proviennent de Jacqueline Pascal, de Mme Périer ou de sa fille, ou même de l’auteur du Recueil d’Utrecht. Et les éditeurs ou les historiens même les meilleurs ne se font pas faute de combler à coups d’imagination les lacunes innombrables des textes.

C’est ainsi qu’on ne s’est point contenté, sur la foi du Discours sur les passions de l’amour, de croire que Pascal, à un moment donné de sa vie, avait été amoureux, et amoureux même d’une « dame de condition supérieure. » On a voulu préciser, et comme il se trouvait que nous possédions quelques fragmens de lettres de Pascal à la sœur d’un duc et pair, Mlle de Roannez, on a cru que c’est elle qui avait inspiré le Discours. C’est Faugère qui, en 1814, a inventé cette aimable histoire. De plus, comme les lettres de Pascal à Mlle de Roannez sont, à proprement parler, des « lettres de direction » et que, visiblement, Pascal a agi sur la jeune fille pour achever de la détacher du monde, Faugère est allé jusqu’au bout de son invention, et,