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Dans le commencement, cela était modéré ; mais insensiblement le goût en revint, il se mit dans le monde, sans vice néanmoins, ni dérèglement, mais dans l’inutilité, le plaisir et l’amusement. » Et enfin, l’honnête auteur du Recueil d’Utrecht résume en quelque sorte les débats de la très judicieuse façon que voici : « Il se livra tout entier à la vanité, à l’inutilité, au plaisir et à l’amusement, sans se laisse aller cependant, à aucun dérèglement. » On ne saurait mieux dire, et mieux corriger les mystiques imprudences du langage de Jacqueline Pascal.

Est-ce là tout cependant ? Et, à défaut de « libertinage » au sens moderne du mot, les documens contemporains ne nous feraient-ils pas saisir, dans la vie mondaine de Pascal, la trace d’un attachement féminin quelconque, et, comme le disait élégamment Cousin tout à l’heure, d’une « noble affection, d’une chaste et haute amitié ? » « L’amour, dit ailleurs Cousin, l’amour alors ne passait point pour une faiblesse : c’était la marque des grands esprits et des grands cœurs. Rien donc de plus naturel que Pascal n’ait pas su ou n’ait pas voulu se défendre d’une impression noble et tendre, et que lui aussi, comme Descartes, il ait aimé. » Il y aurait au moins cette différence que les amours de Descartes allèrent… jusqu’à l’enfant, inclusivement ; car l’on sait que de sa liaison avec une dame hollandaise du nom d’Hélène, le philosophe eut une fille naturelle, Francine, qu’il perdit de bonne heure, et dont la mort lui causa un grand chagrin. Rien de tel, sans aucune espèce de doute, dans la vie de Pascal, à moins que l’on ne veuille prendre exactement au pied de la lettre les « horribles attaches » et le « bourbier » dont parle Jacqueline, ce qui serait peut-être manquer un peu d’esprit de finesse. « Il suffit d’ailleurs, dit très justement M. Lanson à ce sujet, de considérer l’état de santé de Pascal et la description que sa nièce nous fait de ses incommodités dans ce temps-là, pour être assuré île l’innocence de ses mœurs. » Mais l’amour peut être heureusement autre chose ; et il s’agit uniquement de savoir si Pascal, durant sa vie mondaine, a connu cette « impression noble et tendre » qui, pour une âme comme la sienne, eût été l’essentiel, et même le tout de l’amour.

Or, les deux seuls faits, à ma connaissance, — en dehors du Discours, — qui pourraient, dans une certaine mesure, légitimer cette hypothèse, sont les suivans. Dans ses Mémoires sur les grands jours d’Auvergne, Fléchier nous représente Pascal fort