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se marier. Et, ajoute-t-elle, prenant ses mesures pour l’un et pour l’autre, il en conférait avec ma tante, qui était alors religieuse, qui gémissait de voir celui qui lui avait fait connaître le néant du monde, s’y plonger de lui-même par de nouveaux engagemens. Elle l’exhortait souvent à y renoncer ; mais l’heure n’était pas encore venue ; il l’écoutait et ne laissait pas de pousser toujours ses desseins. » On pourrait objecter, je le sais bien, qu’on peut parfaitement songer à se marier, sans être amoureux, que ce fut là, apparemment, un de ces projets en l’air, comme nous en formons tous, sans objet précis, et qui ne dut pas être bien sérieux, puisqu’il ne fut pas suivi d’effet. Néanmoins, cela nous prouve que les préoccupations féminines n’ont pas été entièrement étrangères à Pascal, et que, à de certains momens, tout au moins, son état de santé ne lui paraissait pas incompatible avec le mariage. Ces observations sont nécessaires à présenter, et il y a lieu de les retenir.

Une chose cependant, dans tout cela, paraît bien établie. Qu’il y ait eu, dans le cas de Pascal, entre 1649 et 1654, des dispositions, des velléités amoureuses, il est possible, il est parfaitement possible ; mais on ne voit pas, — car il faut décidément écarter le nom et la personne de Mlle de Roannez, — on ne voit pas, même en accordant pleine créance à Fléchier, et en attribuant à l’auteur des Pensées le Discours sur les passions de l’amour, on ne voit pas qu’il ait eu, dans sa vie, aucun attachement précis, déterminé, bref, qu’il ait été réellement amoureux.

Et assurément, de ce que les faits et les textes connus sont muets là-dessus, il ne suivrait pas nécessairement et, pour ainsi dire, in abstracto, que le fait n’eût pas eu lieu. Nous ignorons tant de choses, importantes peut-être, et qu’en tout cas nous voudrions connaître, de la vie de Pascal ! Je crois pourtant le fait très improbable pour la raison, selon moi très forte, que voici.

Il me semble qu’un fait de ce genre, s’il se fût produit, nous eût été révélé. Il nous eût été révélé, soit par l’entourage immédiat de Pascal[1], soit par ses biographes, soit même, — et peut-être surtout, — par ses ennemis. Quoi donc ! un écrivain qui,

  1. Veut-on toute ma pensée ? Si Pascal avait été vraiment amoureux, Jacqueline eût été profondément jalouse, — telle Henriette Renan à l’égard de son frère ; — elle eût beaucoup souffert, elle eût « gémi, » comme nous disait sa nièce tout à l’heure, — et elle nous l’eût fait savoir.