aimé, réellement aimé, — je ne veux pas dire dans l’ordre des sens, mais dans l’ordre du cœur, — il n’eût pas aimé à moitié ; il eût « aimé fortement, » comme dit l’auteur du Discours sur les passions de l’amour ; il se serait donné tout entier ; sa « grande âme » n’eût été capable que « d’un amour violent, » pour employer encore les termes mêmes du Discours ; toute l’ardeur de sa nature, de son « esprit si vif et si agissant, » tout l’emportement de sa sensibilité se seraient livré carrière, auraient passé dans cette passion nouvelle, comme elles ont passé dans toutes les passions simultanées ou successives qui se sont partagé sa trop courte existence, dans sa fièvre d’invention scientifique, dans sa tendresse pour sa sœur Jacqueline, dans sa foi religieuse enfin. Il eût agi, il eût parlé, il eût écrit ; et comment de toute cette flamme quelques étincelles ne seraient-elles point parvenues jusqu’à nous ? On croit voir des traces d’une passion contenue dans certains fragmens du Discours ; mais la passion de Pascal n’eût point été contenue ; et si le Discours est de lui, il prouve que Pascal n’a point été amoureux. Allons plus loin encore. Pascal amoureux n’était point homme à se reprendre, ou, si l’on préfère, à « se guérir » en quelques jours. Sa passion amoureuse serait fatalement entrée en lutte avec sa foi religieuse renaissante ; et dans une âme comme la sienne, vibrante, exaltée, douloureuse et méthodique, le conflit intérieur eût été aussi dramatique et aussi [sanglant que l’imagination la plus éprise de tragédies morales pourrait le souhaiter ou le rêver. Et de ce drame intime nous ne trouverions aucune trace dans les Pensées, aucune dans les témoignages contemporains ! N’est-ce pas là le comble de l’invraisemblance ? Et si Pascal avait été réellement amoureux, est-ce que cela ne « se saurait » pas ?
La vérité, si je ne m’abuse, est celle-ci. Né, je le crois, avec un cœur très tendre, avec une sensibilité très vive et très ardente, que la maladie vint encore aiguiser et exaspérer de très bonne heure, Pascal, avant 1649, avant l’époque où « il se mit dans le monde, » pour suivre l’avis des médecins, Pascal n’a eu que deux grandes affections dans sa vie, son père et sa sœur Jacqueline, « qu’il aimait, nous dit Mme Périer, d’une tendresse toute particulière. » Son père mort, son autre sœur Gilberte étant mariée, sa sœur Jacqueline lui reste seule. Mais Jacqueline, qu’il avait lui-même « convertie » au jansénisme, Jacqueline a pris la résolution inébranlable d’entrer à Port-Royal. On sait tous