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à l’autre ; et ce ne sont pas d’ordinaire les cœurs secs qui se laissent séduire aux attraits du mysticisme. Pascal n’était pas, — tant s’en faut, — un cœur sec. Il a connu, il a éprouvé l’amour humain sous presque toutes ses formes : l’amour filial, l’amour fraternel, l’amitié ; et l’amour enfin sans épithète ne lui a pas été pleinement étranger, puisqu’il a dû en souhaiter les ardeurs et en sentir les approches. Et cette expérience lui a été singulièrement profitable. Pour avoir vécu, vraiment vécu de toute notre vie humaine, il a merveilleusement compris que l’homme n’est pas, comme on l’enseigne dans les écoles, un être qui pense, mais un être qui sent ; que le fond de l’homme n’est pas la raison, mais ce qu’il appelle profondément le « cœur ; » que c’est là qu’il faut toucher, si l’on veut agir sur lui et l’entraîner aux démarches décisives ; que la religion tout entière ne serait qu’un vain mot ou qu’une vaine philosophie abstraite, si elle ne s’adressait avant tout à ces parties essentielles de l’âme. Et c’est pour avoir compris cela et pour l’avoir exprimé en formules saisissantes, et, si je puis dire, toutes chargées de vie éternelle, que Pascal demeure, après plus de deux siècles écoulés, le maître toujours vivant de l’apologétique chrétienne…

Et ce n’est là, je le sais bien, qu’une hypothèse, comme en sont toujours, hélas ! toutes nos constructions historiques. Notre misérable science, quoi que nous fassions, se jouera toujours à la surface de l’âme individuelle qu’elle prétend deviner, et qu’elle voudrait percer de part en part. Et surtout quand cette âme est celle d’un Pascal, trop de choses en elle nous échappent invinciblement. Donc, ce n’est qu’une hypothèse, et on ne la donne que pour telle. Telle qu’elle est pourtant, il me semble qu’elle s’adapte assez exactement aux faits connus, et qu’elle a certaines vraisemblances pour elle. Et c’est la seule en un mot qui me paraisse entièrement conforme à ce que nous savons de l’âme ardente, de la vie douloureuse, de l’âpre et puissant génie du grand Pascal.


VICTOR GIRAUD.